Quand la matraque remplace la justice : violence policière et violence du pouvoir au Maroc


Lecture 5 min.
Maroc police violence
Violence policière au Maroc

Une nouvelle vidéo circule sur les réseaux sociaux. Deux policiers marocains, en uniforme, maîtrisent violemment un homme au sol, derrière une voiture en stationnement. L’un d’eux brandit sa matraque, frappe de toutes ses forces la personne interpelée et donne des coups de pied. L’homme hurle, demande pourquoi on l’arrête. Sa voix se perd dans le silence brutal des institutions. Comme d’habitude.

La Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a réagi rapidement, comme à chaque fois qu’un scandale éclabousse publiquement l’image du royaume. Elle a annoncé l’ouverture d’une enquête par l’Inspection générale. Objectif affiché : vérifier l’authenticité des images, identifier d’éventuelles infractions, et déterminer les responsabilités. Une réaction bien huilée. Mais on ne peut s’empêcher de poser la question : enquête-t-on sur un incident isolé ou sur une culture de la violence systémique qui gangrène la police marocaine ? Car ce que montre cette vidéo est une réalité récurrente, banalisée, presque normalisée.

La violence des apparences : faste, opulence et indécence

Au Maroc, la police n’est pas seulement un outil de maintien de l’ordre. Elle est trop souvent un instrument de domination, au service d’un pouvoir monarchique qui contrôle tout, jusqu’aux cris étouffés de ceux qu’on matraque. Derrière l’uniforme et les coups, il y a l’ombre pesante du palais royal. Les forces de l’ordre, censées protéger la population, protègent d’abord un système. Celui d’un roi qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs, exécutif, législatif, religieux et économique. Celui d’un régime qui tolère mal la critique, réprime les voix dissidentes, et punit l’insolence par les barreaux, l’exil ou la matraque.

La violence de la police n’est que le bras armé d’une violence bien plus vaste, plus insidieuse : celle du pouvoir monarchique lui-même. Il faut oser le dire : le Maroc d’aujourd’hui est dirigé par un roi milliardaire dans un pays où l’inégalité est structurelle, où des millions de citoyens peinent à vivre dignement. Cette violence-là, plus silencieuse mais tout aussi destructrice, s’affiche chaque jour sans honte. Lors des dîners de réception d’hôtes étrangers, le palais royal déborde d’opulence. Lustres en cristal, mets rares, argenterie, décors dignes d’un autre siècle.

Quand l’État devient violent, la société se décompose

Le protocole monarchique, figé dans une mise en scène archaïque du pouvoir, est une gifle au visage de ceux qui survivent avec moins de 100 dirhams par jour. Les voitures de luxe aux plaques diplomatiques ou royales sillonnent les avenues de Rabat et Marrakech, comme si elles roulaient sur un autre sol, loin de la réalité des bidonvilles, des zones rurales abandonnées, des hôpitaux en ruine. La fortune de Mohammed VI, estimée à plusieurs milliards de dollars, n’est jamais évoquée dans les médias nationaux, muselés ou autocensurés.

Mais elle est là, bien réelle, tapie derrière les murs du palais. Et elle aussi, elle fait mal. Elle blesse. Parce qu’elle dit l’impunité, le cynisme et le mépris d’un pouvoir qui ne se cache même plus. La violence n’est pas seulement dans les coups portés. Elle est dans les silences imposés, les humiliations quotidiennes, l’absence d’État dans les services publics, la corruption institutionnelle, l’inaccessibilité à la justice. Elle est dans les arrestations arbitraires, dans la surveillance constante des journalistes, des militants, des simples citoyens qui osent élever la voix.

Un pouvoir qui ne partage rien

La répression policière n’est pas un accident. C’est une méthode. Une stratégie. Elle vise à faire peur, à étouffer la révolte, à contenir le mécontentement qui monte, inévitablement, face à un pouvoir qui ne partage rien, ni les richesses, ni les responsabilités, ni l’avenir. On dira que les policiers sont mal payés, mal formés, soumis à une hiérarchie brutale. C’est vrai. Mais cela n’excuse rien. Cela explique seulement qu’eux aussi sont des pions dans un système qui les utilise pour maintenir l’illusion d’un ordre, quand c’est l’injustice qui règne.

On ne réformera pas la police sans réformer le régime. On ne fera pas respecter les droits humains tant que le pouvoir reste concentré dans les mains d’un monarque inaccessible, irresponsable, protégé par un culte de la personnalité et une Constitution qui le place au-dessus de toute critique. Le Maroc mérite mieux. Il mérite une police républicaine, formée, contrôlée, respectueuse des droits fondamentaux.

Confusion entre respect de l’autorité et soumission à la peur

Il mérite des institutions transparentes, une monarchie responsable ou un véritable changement de système. Il mérite surtout que l’on cesse de confondre respect de l’autorité et soumission à la peur. L’homme plaqué au sol dans la vidéo, qui crie, qui ne comprend pas pourquoi on l’arrête, n’est pas un cas particulier. C’est un symbole. Il représente tous ceux que ce système écrase, humilie, opprime. Il nous regarde. Il nous interroge : jusqu’à quand allons-nous nous taire ?

Avatar photo
Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News