
Une dette invisible estimée à près de 7 milliards de dollars bouleverse le Sénégal et ses relations avec le Fonds monétaire international (FMI). Révélée lors d’une mission conduite par Edward Gemayel, cette situation confirme les inquiétudes de la Cour des comptes sur un endettement réel proche de 100% du PIB, bien au-delà du chiffre officiel. Ce scandale financier remet en cause la crédibilité budgétaire du pays, bloque les négociations avec le FMI et soulève de vives interrogations sur la transparence et la gouvernance économique du Sénégal.
La mission actuelle du Fonds monétaire international (FMI) au Sénégal, dirigée par Edward Gemayel, a suscité une onde de choc en dévoilant qu’entre 2019 et 2024, le pays pourrait avoir accumulé une dette invisible d’environ 7 milliards de dollars (soit près de 4 250 milliards FCFA). Cette révélation confirme et étend les conclusions du rapport de la Cour des comptes du Sénégal publié en février 2025, qui estimait l’endettement réel de l’État à près de 100% du produit intérieur brut (PIB) contrairement à un niveau officiel fixé à un peu plus de 70%.
Cette dissimulation a non seulement risqué de fausser les indicateurs macroéconomiques, mais elle a également perturbé les négociations entre Dakar et le FMI : les discussions pour un nouveau programme d’aide sont bloquées tant que ne sont pas apportées des corrections structurelles. Le chef de mission a affirmé qu’il n’avait « jamais vu une dette cachée de cette importance » en Afrique. L’enjeu est double : d’un côté la crédibilité budgétaire du Sénégal est mise à l’épreuve, de l’autre les bailleurs et créanciers internationaux exigent désormais des garanties de transparence avant d’engager de nouveaux financements.
Gestion financière controversée aux lourdes conséquences économiques
La sous-évaluation de l’endettement a eu des répercussions majeures sur la gestion des finances publiques sénégalaises. Sous l’ancien régime de Macky Sall, l’État affichait un taux de dette publique officiel à environ 70% du PIB, tandis que la Cour des comptes le réévaluait à près de 100% au 31 décembre 2023. Cette différence conjoncturelle a permis à l’administration de contracter des emprunts supplémentaires à des conditions plus avantageuses en affichant un profil moins endetté.
Le chef de mission du FMI a précisé qu’il s’agissait d’une « décision très consciente de sous-estimer le stock de la dette ». La conséquence directe a été la suspension d’un programme de prêt de 1,8 milliard d’euros avec le FMI, en attendant des clarifications sur les montants et leur justification. Le Sénégal se retrouve désormais dans une position financière délicate : les agences de notation ont revu à la baisse leur perspective, et le service de la dette absorbe une part croissante des recettes de l’État.
Un plan de redressement sous haute tension
Face à cette réalité, le gouvernement d’Ousmane Sonko dévoile un plan de redressement ambitieux. Objectif annoncé : ramener le déficit budgétaire à 3 % du PIB d’ici 2027 tout en centralisant la gestion de la dette dans un ministère unique et en publiant l’audit des arriérés. Ces mesures sont jugées indispensables par le FMI pour envisager un nouveau programme. Le gouvernement affirme qu’il ne s’agit pas d’une politique d’austérité drastique, mais d’un équilibre à trouver entre contrôle budgétaire et maintien de la croissance, notamment via l’exploitation future des ressources pétrolières et gazières.
Cependant, les défis restent énormes : l’endettement est déjà estimé à environ 119 % du PIB fin 2024 selon certains observateurs. Dans ce contexte, la confiance des investisseurs étrangers et des organismes internationaux reste fragile ; la réussite de ce plan de redressement apparaît déterminante pour éviter à terme une restructuration de la dette.
Une dimension politique lourde
Cette affaire de dette « cachée » cristallise d’importantes tensions politiques. L’opposition n’a pas manqué de critiquer la gestion passée, tandis que Macky Sall, depuis son départ, conteste fermement les accusations de dissimulation, estimant qu’il était techniquement impossible de dissimuler une dette publique dans les conditions existantes. Par ailleurs, la crédibilité des institutions de contrôle sénégalaises est remise en cause : quel contrôle ont exercé la Cour des comptes, l’Assemblée nationale ou la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ?
Le FMI exige désormais des mécanismes de transparence plus rigoureux avant de débloquer tout nouveau soutien. À cet égard, la question centrale est posée : le Sénégal pourra-t-il redresser la trajectoire de ses finances publiques sans compromettre ses ambitions de développement et sans fragiliser davantage sa société déjà vulnérable ? Les semaines à venir seront décisives pour l’évolution du dossier et la signature d’un nouvel accord avec le FMI.





