Crise de la dette au Sénégal : le FMI tend la main, mais exige des garanties


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Kristalina Georgieva, présidente du FMI
Kristalina Georgieva, présidente du FMI

Alors que le Sénégal fait face à une crise budgétaire sans précédent, le Fonds monétaire international (FMI) a exprimé sa volonté de soutenir le pays, tout en appelant à plus de rigueur et de transparence.

La situation économique du Sénégal est aujourd’hui au centre de toutes les attentions. Avec un déficit budgétaire atteignant 14% du produit intérieur brut (PIB) et une dette publique estimée à 119% du PIB, le pays se trouve dans une impasse financière inédite. Face à cette urgence, le FMI souhaite intervenir, saluant les efforts de transparence du nouveau gouvernement, mais sans écarter les conséquences d’une gestion passée jugée opaque.

Une dette « cachée » au cœur de la tourmente

Tout commence par une découverte préoccupante : entre 2019 et 2024, le Sénégal aurait accumulé près de 7 milliards de dollars de dette non déclarée, selon le FMI et la Cour des comptes sénégalaise. Ces montants, non intégrés aux statistiques officielles sous le régime de l’ex-Président Macky Sall, ont provoqué la suspension d’un programme d’aide de 1,8 milliard d’euros.

Le FMI évoque des « déclarations erronées significatives » portant sur les chiffres de la dette et du déficit. Une révélation qui a suscité l’inquiétude des créanciers internationaux et mis en lumière des irrégularités dans la gestion des finances publiques.

Kristalina Georgieva encourage, mais reste prudente

Lors d’une déclaration faite le 3 octobre, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a reconnu les efforts du gouvernement actuel pour corriger le tir. Elle a salué les mesures prises pour clarifier la situation et a confirmé l’ouverture de discussions autour d’un nouveau programme d’assistance financière. « Les autorités sénégalaises ont fait d’importants progrès pour régler le problème de la déclaration erronée », a-t-elle déclaré.

« Le FMI est prêt à avancer rapidement, une fois les engagements nécessaires pris ». Des négociations officielles sont prévues entre le 13 et le 18 octobre, à Washington, à l’occasion des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale. Du côté de l’ancien Président Macky Sall, le ton est à la contestation. Dans un entretien accordé à l’occasion de la sortie de son livre L’Afrique au cœur, il réfute toute idée de dissimulation.

Un lourd héritage qui divise… Une économie sous pression

« Une dette publique, par définition, ne peut pas être cachée », soutient-il, rappelant l’existence de mécanismes de surveillance multinationale, notamment via la BCEAO et les institutions parlementaires. Selon lui, il est techniquement impossible que des montants aussi importants aient pu échapper aux radars des institutions de contrôle, notamment la Cour des comptes et l’Assemblée nationale.

Toutefois, le nouveau gouvernement maintient que des paiements directs à l’étranger n’ont pas été tracés dans les systèmes comptables officiels, une zone grise qui alimente le soupçon. En attendant une clarification complète, les répercussions sont déjà visibles. L’agence de notation S&P a abaissé la perspective du Sénégal, mettant en cause la soutenabilité de sa dette. En 2025, près de 20% des recettes de l’État seront consacrées au service de la dette, contre 14% l’année précédente.

Un plan de redressement ambitieux mais risqué

Dans ce contexte, le gouvernement Sonko a sollicité la diaspora sénégalaise pour financer le pays, via un emprunt obligataire de 300 milliards de francs CFA lancé en septembre. Une solution d’urgence pour pallier la fermeture des marchés financiers internationaux. Le gouvernement a présenté un plan de consolidation budgétaire visant à ramener le déficit à 3% du PIB d’ici 2027. Une trajectoire ambitieuse qui implique des réformes structurelles, telles que la centralisation des entités chargées de la dette, la mise en place d’un compte unique du Trésor, la poursuite de la réduction des subventions et des dépenses non prioritaires.

Toutefois, les autorités assurent qu’il n’est pas question d’austérité, un mot tabou dans un contexte social déjà tendu. Le Premier ministre Ousmane Sonko a insisté sur la nécessité de maintenir la croissance, notamment en misant sur les revenus attendus de l’exploitation pétrolière et gazière. Au-delà des chiffres, cette affaire a ouvert un vaste débat politique. Le camp présidentiel dénonce une « gestion catastrophique » sous Macky Sall, tandis que l’opposition accuse le gouvernement actuel de manipuler les données pour discréditer l’ancien régime.

Une crise à forte teneur politique

Dans un climat de polarisation politique, la crédibilité des institutions de contrôle, comme la Cour des comptes, est également en jeu. L’appel à un audit indépendant est désormais au cœur des demandes, y compris de Macky Sall lui-même, qui dit attendre les termes de référence du rapport promis par les nouvelles autorités.

À ce jour, le FMI reste l’un des rares partenaires à afficher un soutien conditionnel. Pour débloquer les financements suspendus et restaurer la confiance des marchés, le Sénégal devra démontrer qu’il a rompu avec les pratiques passées. L’heure est donc à la transparence, à la rigueur budgétaire et à la réforme. Mais la question centrale demeure : le Sénégal peut-il redresser la barre sans sacrifier ses ambitions de développement ?

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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