Air Sénégal : nouveau scandale d’audit interne sur fond de communication triomphante


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Air Senegal avion
Air Senegal avion

Alors que la compagnie nationale annonce le renforcement de sa flotte ce vendredi 3 octobre, un audit interne révèle de graves soupçons de fraude dans la vente de billets. Entre communication offensive et scandales récurrents, Air Sénégal navigue en eaux troubles.

Un double discours troublant

Ce vendredi 3 octobre 2025, Air Sénégal affichait son optimisme en annonçant l’arrivée d’un troisième Airbus A320 pour le 10 octobre, la remise en service d’un ATR 72-600 à la mi-octobre, et la livraison d’un troisième L410-NG d’ici la fin de l’année. La compagnie se félicite de « renforcer sa flotte pour répondre à la demande croissante de mobilité en Afrique« .

Pourtant, à peine 24 heures plus tôt, L’Observateur révélait l’existence d’un audit interne explosif pointant de graves dysfonctionnements dans la gestion des ventes directes de billets.

Le nouveau scandale : un audit interne accablant

Un rapport d’audit interne daté du 27 mars 2025 et récemment transmis à la direction générale met en lumière de possibles irrégularités majeures dans l’émission de billets et la collecte des recettes. Selon ce document, des employés auraient modifié manuellement les montants ou codes tarifaires générés automatiquement par le système de réservation.

Ce que ces agents ignoraient : depuis 2021, la plateforme d’Air Sénégal est interconnectée à Amadeus, l’outil international d’audit qui conserve la trace de chaque opération. Plusieurs employés sont désormais cités dans le rapport, certains ayant déjà trouvé un accord à l’amiable avec la compagnie, tandis que d’autres contestent les montants réclamés.

Cette révélation place la direction d’Air Sénégal face à un défi majeur de transparence, alors que la compagnie est déjà fragilisée par des années de turbulences financières.

En janvier dernier, le directeur général Tidiane Ndiaye reconnaissait officiellement une dette dépassant les 100 milliards de francs CFA, pour un capital social de seulement 40 milliards. Mais selon le Commandant Malick Tall, ancien pilote d’Air Afrique interrogé fin janvier sur la TFM, la dette réelle avoisinerait les 500 milliards de francs CFA, soit cinq fois plus que le montant officiellement déclaré.

Malgré une injection de fonds publics dépassant 275 millions d’euros depuis la création de la compagnie en 2018, les pertes s’accumulent et les créanciers s’impatientent.

La saga Carlyle : des avions saisis, des documents retenus

Le différend avec Carlyle Aviation Partners illustre parfaitement la spirale dans laquelle se trouve Air Sénégal. En juin 2025, le loueur américain a récupéré quatre appareils Airbus (deux A319 et deux A321) pour non-paiement des loyers et défaut d’entretien, malgré les 57,96 milliards de francs CFA déjà versés depuis 2018.

En janvier 2025, la crise s’est intensifiée lorsque Carlyle a refusé de transmettre les documents nécessaires au renouvellement de l’immatriculation des appareils, dont le certificat expirait le 18 janvier. Le loueur exige désormais 20 milliards de francs CFA pour l’achat des quatre avions, dont 11,45 milliards à verser immédiatement.

Cette situation a provoqué l’annulation de nombreux vols et paralysé une partie significative de la flotte, transformant en cauchemar le quotidien de centaines de passagers.

Les avions fantômes : un scandale qui perdure

Le mystère des cinq avions L410NG continue de hanter la compagnie. Acquis par l’État sous l’ancien régime et cédés au franc symbolique à Air Sénégal, ces appareils de 19 places n’ont jamais été exploités commercialement. Deux d’entre eux sont immobilisés depuis plus de deux ans dans les hangars de l’aéroport militaire de Yoff, faute de pilotes ou techniciens formés.

Aucune étude de rentabilité, de maintenance ou d’intégration à la flotte n’aurait été menée avant cette acquisition opaque, dans laquelle aucun cadre technique ou commercial de la compagnie n’a été impliqué.

Le directeur général Tidiane Ndiaye, nommé en août 2024, fait face à des accusations de conflit d’intérêts. Son entreprise privée Iris représente au Sénégal plusieurs compagnies concurrentes d’Air Sénégal, notamment Air Ivoire, principale rivale sur les lignes africaines.

Plus troublant encore, des soupçons pèsent sur la négociation pour louer des avions chez Flynas, une compagnie saoudienne également représentée par Iris, alors que la compagnie dispose de ses propres A330 actuellement en maintenance.

Un calvaire quotidien pour les passagers

Au-delà des scandales financiers, les usagers d’Air Sénégal continuent de subir annulations de vols, retards interminables et pertes de bagages. En août 2025, environ 300 passagers ont attendu près de deux jours à Roissy-Charles de Gaulle avant de pouvoir s’envoler.

Les commentaires sur l’annonce récente du renforcement de la flotte sont révélateurs : « Le problème n’est pas seulement de renforcer la flotte aérienne mais il faut aussi qu’Air Sénégal forme son personnel à bien se comporter avec les passagers. Les agents sont très incorrects« , pouvait-on lire sur Seneweb.

En avril 2025, le Premier ministre Ousmane Sonko a présidé une réunion interministérielle dont les décisions visent à redresser la compagnie : apurement des dettes avant juin 2025, audit complet par les corps de contrôle de l’État, reconstitution des fonds propres, création d’une filiale « Air Sénégal Express » pour les vols intérieurs.

Mais ces promesses pourront-elles être tenues alors que de nouveaux scandales continuent d’éclater ? L’affaire Intech Group, où Air Sénégal réclame plus de 1,2 milliard de francs CFA à la fintech accusée d’avoir retenu des fonds, s’ajoute à une liste déjà longue de contentieux.

Entre communication et réalité

Le contraste est saisissant entre la communication optimiste du 3 octobre sur le renforcement de la flotte et les révélations simultanées sur les dysfonctionnements internes. Cette stratégie de communication offensive peut-elle masquer une réalité financière et opérationnelle toujours aussi préoccupante ?

Avec un ratio de 152 employés par avion opérationnel (bien au-dessus des standards internationaux de 10 à 15), un taux de régularité des vols qui était de seulement 35% avant l’arrivée de la nouvelle direction, et des scandales qui s’accumulent, Air Sénégal symbolise les difficultés structurelles que rencontrent de nombreuses compagnies aériennes africaines.

« Si l’État n’intervient pas, on risque la faillite« , alertait la direction en janvier dernier. Cette menace plane toujours sur la compagnie nationale, qui attend désormais les résultats de l’audit approfondi commandé par le gouvernement.

Le Sénégal se trouve face à un dilemme : continuer à injecter des fonds publics dans une entreprise chroniquement déficitaire ou accepter la disparition du pavillon national. Entre les annonces optimistes d’extension de flotte et les révélations de scandales à répétition, le redressement d’Air Sénégal semble plus que jamais tenir de la quadrature du cercle.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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