Royal Air Maroc – Air Sénégal : les dessous de la crise


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Air Sénégal International aura défrayé la chronique ces dernières semaines. Les débrayages du personnel de la compagnie immobilisent l’activité au sol à l’aéroport international de Dakar, contraignent Royal Air Maroc à annuler ses vols en partance de Casablanca vers la capitale sénégalaise et surtout créent une extrême confusion au sein de l’opinion publique.

Au Maroc, c’est silence radio. La maison mère, Royal Air Maroc (RAM) en l’occurrence, qui détient 51% du capital de la compagnie, ne communiquera pas. Et pourtant, la question est des plus sérieuses et le dossier repris en main par les plus hautes autorités de l’Etat sénégalais. Seuls les cabinets ministériels sénégalais (Premier ministre et ministre des Transports) publieront des communiqués on ne peut plus «langue de bois» à l’issue de la visite du président de RAM, Driss Benhima, au Sénégal. Il était donc tout à fait normal qu’un des plus «chauds» sujets du Conseil d’administration de RAM, tenu le 18 avril dernier, concerne Air Sénégal International (ASI).
Cette fois encore, la presse marocaine n’est pas informée et rien « d’officiel» ne filtre sur les questions débattus. Une telle discrétion est rarement respectée. Contactée par L’Economiste pour des informations sur le dénouement du conflit à Air Sénégal, la direction de la compagnie marocaine avait affirmé n’avoir aucun commentaire à faire. Du moins rien à ajouter par rapport à la dépêche de l’agence MAP diffusée lors de la visite de Benhima (www.leconomiste.com).

Dualité épineuse

Cette dépêche reprenait certains des termes du communiqué du cabinet du Premier ministre sénégalais selon lequel «les deux parties ont passé en revue les difficultés et se sont engagées à tout mettre en œuvre pour y apporter les solutions appropriées dans les délais les plus brefs». «Pour sa part, la partie marocaine s’est engagée à apporter son soutien financier et opérationnel devant permettre à ASI de continuer à se développer», poursuit le document. On n’en saura pas plus. Ni sur le montant déboursé par RAM, même si la partie sénégalaise avait avancé 10 millions d’euros. (Il semblerait qu’il soit nettement inférieur). Ni surtout sur les discussions en coulisses qui ont permis d’aboutir à ce dénouement. Et pourtant…les choses n’ont pas été aussi simples. Et c’est justement de cela qu’il aurait été question au cours du CA de RAM, selon une source proche du dossier.

Les difficultés d’ASI débutent en 2004. Le Maroc et le Sénégal auraient-ils surestimé les perspectives de développement de la compagnie et consenti des investissements de lancement trop conséquents? En tout état de cause, RAM est appelée à la rescousse et avance la somme de 10 millions d’euros en septembre 2006. Parallèlement, un plan de redressement est adopté. Celui-ci prévoit, entre autres, un ralentissement de l’activité d’où le retrait d’un appapreil et la suppression des dessertes de Milan et Accra, le tout acccompagné d’une réduction des effectifs. Les deux parties se mettent d’accord. Mais le plan tarde à être mis en place. A quoi est dû ce retard? On n’en saura pas plus encore une fois même s’il se chuchote que c’est un manque de coopération du ministère sénégalais des Transports qui avait été tenté, dans les faits, de rejeter les mesures de ce plan. Mais ce ne sont là que des hypothèses.

Sur le terrain, la situation est loin d’être sereine. Cadres, syndicats et opinion publique développent progressivement une hostilité à l’égard de la partie marocaine au point de provoquer des dissensions au sein du Conseil d’administration d’ASI, indique la même source. Des administrateurs qui avaient pourtant approuvé le plan de redressement adoptent subitement la position contraire. Quelles ont été leurs motivations? Qui a intérêt à inverser la situation? Qui manipule ces administrateurs? De quel courant politique tiennent-ils?

Une chose est sûre. Le Maroc ne compte pas que des amis au Sénégal. Rien ne va plus. La crise sociale est latente et la grogne des syndicats grandit. Ce qui n’arrange rien aux difficultés financières qui vont grandissants. Les 26 et 27 mars dernier, c’est donc la grève générale à ASI. La presse locale s’empare du dossier qu’alimentent les déclarations des représentants des syndicats sénégalais. RAM est accusée de «mauvaise gestion» et le personnel réclame la «tête du directeur général d’ASI». Benhima est «dépêché» à Dakar.

Trois scénarios proposés par RAM dont le retrait du capital

Ce serait à l’invitation du président sénégalais, Abdoulaye Wade. Au risque de rompre la relation entre les deux compagnies. Le président de RAM emporte dans ses bagages trois scénarios: le retrait pur et simple de la compagnie, la mise en place de mesures de redressement avec un retour de la confiance ou le dépôt de bilan. C’est finalement le deuxième scénario qui est retenu. RAM restera donc au Sénégal. Hormis le volet financier, la maison mère aura obtenu un retour au calme et de la confiance. «Les plus hautes autorités du Sénégal ont à cette occasion réitéré toute la confiance qu’elles placent en la RAM dans le cadre du partenariat stratégique mis en œuvre à travers ASI», indique le communiqué de la Primature sénégalaise. Pour RAM, c’est une véritable victoire. Le Collège des délégués d’ASI suit. «Le Collège apprécie à sa juste valeur la ferme volonté des actionnaires à vouloir tout mettre en œuvre pour la réalisation d’une compagnie émergente et s’engage de son côté à jouer sa partition pour un climat de sérénité», indique un communiqué. Il ajoute que «le Collège félicite le directeur général des dispositions prises pour l’application des directives sorties de la rencontre entre le Premier ministre et le PDG de RAM».

L’enjeu actuel pour la compagnie marocaine est donc de réussir le plan de redressement. Nul doute que la partie relative à la réduction des effectifs sera la plus difficile à aborder. Rappelons qu’ASI emploie 450 personnes et 150 intérimaires et qu’une des principales revendications concerne la réintégration de ces intérimaires. Six cadres marocains ont rejoint Dakar au début de la semaine dernière.

La problématique posée par la crise d’ASI dépasse le cadre de l’entreprise. La compagnie a effectivement une double nature puisqu’elle est à la fois marocaine (RAM en est l’actionnaire majoritaire) et sénégalaise puisqu’il s’agit de la compagnie nationale du Sénégal. Cette dualité est épineuse. Non pas parce qu’il s’agit de deux nationalités différentes mais davantage parce qu’elle fait entrer en ligne l’enjeu politique. Ce qui ne correspond pas nécessairement aux impératifs de rentabilité économique. D’où l’urgence d’étudier de nouvelles formes de partenariat en Afrique. Serait-ce pour cela que le projet maroco-gabonais a été mis en veilleuse?

Une presse pas toujours tendre

La presse sénégalaise n’a pas toujours été tendre vis-à-vis des Marocains dans le conflit d’ASI. Certains titres sont même allés jusqu’à traiter Royal Air Maroc de «pilleurs». «Une chose est sûre et certaine, notre chère compagnie ASI ne pouvait nullement engendrer des pertes. Si ça a été le cas, c’est parce que la partie marocaine a volontairement provoqué son déficit en la coulant au profit du groupe RAM. Car comment expliquer cette zone de turbulences aussi bien au niveau de la gestion qu’à celui de l’exploitation?», peut-on lire dans Le Témoin. L’accusation est on ne peut plus claire. RAM est aussi «faux partenaire…vrai concurrent». Quant à l’annulation de certaines dessertes, une partie de la presse sénégalaise l’explique par une volonté de «RAM de prendre les meilleures destinations et de fourguer celles qui sont déficitaires à la filiale sénégalaise».

Amale Daoud, pour L’Economiste

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