
Le soleil de fin d’après-midi plonge Dakar dans une lumière dorée. Sur l’avenue Bourguiba, les klaxons se mêlent aux discussions passionnées des passants. Depuis quelques jours, les arrestations puis libérations de Maimouna Ndour Faye, directrice de la chaîne 7TV, et du journaliste Babacar Fall agitent tout le pays. Dans les rédactions, les cafés, les universités et jusque dans les marchés, le même mot revient : liberté. Que s’est-il passé pour que deux professionnels de l’information deviennent en quarante-huit heures les symboles d’un malaise démocratique ?
A Dakar,
Assise dans le hall d’un immeuble du centre-ville, Fatou Diagne, journaliste, suit de près l’affaire. Pour elle, l’interpellation musclée de Maimouna Ndour Faye a marqué une rupture. « Voir une collègue, patronne de chaîne, arrêtée en pleine nuit, c’est une image forte et dérangeante. Même si la justice doit pouvoir enquêter librement, les méthodes employées ressemblent davantage à une opération de sécurité qu’à une procédure judiciaire. Quand on envoie des gendarmes armés pour interrompre une émission, on touche à un symbole : celui du droit du public à être informé ».
« On arrête une directrice de chaîne pour avoir diffusé une émission »
Fatou s’inquiète surtout de l’effet domino. « Aujourd’hui, c’est Maimouna. Hier, c’était un autre confrère. Demain, qui ? Ces arrestations créent une peur diffuse dans les rédactions. On se demande jusqu’où on peut aller sans risquer une convocation ou une garde à vue. C’est dommage, car le Sénégal a longtemps été une référence pour sa liberté de ton. Si nous perdons cela, c’est toute notre démocratie qui s’affaiblit ».
Sur le campus de Fann, l’agitation est palpable. Les étudiants en journalisme suivent cette affaire comme un cas d’école. Pour Aïcha Ndiaye, le choc est profond. « C’est notre avenir qu’on voit se jouer. Nous apprenons à enquêter, à poser des questions, à confronter les faits. Et voilà qu’on arrête une directrice de chaîne pour avoir diffusé une émission ! Cela donne l’impression que le métier devient dangereux. On commence à se demander si la passion de l’information vaut vraiment le risque ».
Pleine d’admiration pour Maimouna Ndour Faye
La jeune femme reste pourtant pleine d’admiration pour Maimouna Ndour Faye. « Ce qui m’inspire chez elle, c’est son calme. Elle a dit qu’elle était psychologiquement préparée, qu’elle ne se sentait pas traumatisée. C’est une leçon de courage. J’espère qu’on retiendra cela, et pas seulement l’aspect politique. Parce qu’au fond, le journalisme, c’est aussi une question de conviction et de dignité ». Sous son parasol chargé de vêtements colorés, Mamadou Guèye, vendeur, ne cache pas sa colère. Pour lui, ces arrestations sont incompréhensibles.
« Moi, je regarde souvent 7TV le soir. C’est là que j’entends les vraies choses, pas ce que les politiciens veulent qu’on sache. Quand j’ai vu à la télé que la dame avait été arrêtée, j’ai eu mal. Parce qu’elle ne faisait que son travail. On veut juste qu’on nous dise la vérité, même si elle dérange ». Mamadou estime que les autorités se trompent de cible. « Si quelqu’un dit des mensonges, on peut le contredire. Mais arrêter les gens, non. Ça fait peur à tout le monde. Le pays a besoin de calme, pas de peur. Moi, je ne suis pas journaliste, mais je sais qu’un pays sans presse libre, c’est comme un marché sans clients : il meurt à petit feu ».
« L’arrestation de Maimouna Ndour Faye n’est pas une condamnation.l »
Contacté par téléphone, un représentant du ministère sous le sceau de l’anonymat, défend la position du gouvernement. « Il faut remettre les choses dans leur contexte. Aucune démocratie ne peut accepter qu’on diffuse des propos susceptibles de compromettre la stabilité du pays. La justice a estimé qu’il y avait matière à vérification, elle a agi conformément à la loi. L’arrestation n’est pas une condamnation. La libération rapide des deux journalistes en est la preuve ».
Le responsable tient à calmer les inquiétudes. « Le gouvernement n’a aucun intérêt à étouffer la presse. Mais il est de son devoir d’assurer la sécurité nationale. La liberté d’informer s’accompagne d’une responsabilité : celle de ne pas donner une tribune à des personnes sous mandat d’arrêt international. Nous devons trouver un équilibre. Et c’est ce que la justice tente de faire, malgré les passions ».
Un climat sous tension
Entre partisans de la fermeté et défenseurs de la liberté, Dakar semble coupée en deux. Dans les rédactions, la méfiance s’installe : certains journalistes évitent désormais d’aborder des sujets sensibles liés au pouvoir ou à la justice. Les associations de presse, elles, multiplient les réunions d’urgence. Certaines annoncent la création d’un Front pour la défense de la liberté de la presse, signe que le malaise dépasse les seuls cas de Maimouna Ndour Faye et Babacar Fall.
La tension est palpable, mais elle s’accompagne d’un sursaut civique. Beaucoup refusent que ces événements soient perçus comme une simple affaire judiciaire, pour eux, c’est une question de principe. En libérant les deux journalistes, le parquet a tenté d’apaiser les esprits. Mais le mal est fait : la confiance entre médias et autorités s’est fissurée. Les observateurs internationaux s’interrogent désormais sur la trajectoire d’un pays autrefois cité en exemple.
Une démocratie à l’épreuve
Pour Fatou Diagne, la journaliste, « cette affaire doit servir d’électrochoc, pas de précédent ». Pour Me Amadou Sall, « elle doit rappeler que la loi est au service de la liberté, pas du pouvoir ». Et pour Aïcha Ndiaye, l’étudiante, « elle doit donner à notre génération l’envie de se battre pour une presse digne ». A Dakar, ces derniers jours, la question n’est plus seulement de savoir qui a eu tort ou raison, mais jusqu’où ira la liberté d’informer dans un pays qui se regarde désormais dans le miroir de sa propre démocratie.
