Plus de 5% de croissance au Maroc, mais à qui profite-t-elle ?


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Le roi du Maroc, Mohammed VI
Le roi du Maroc, Mohammed VI

Le Maroc affiche une croissance économique de 5,5% au deuxième trimestre 2025, un chiffre que les institutions officielles brandissent fièrement comme le signe d’un pays en bonne santé économique. Les indicateurs semblent encourageants : la valeur ajoutée du secteur agricole progresse, les activités industrielles et tertiaires reprennent, et l’inflation est contenue autour de 2,3 %. Pourtant, derrière cette façade de performance, la fracture sociale se creuse, et une large partie de la population continue d’être laissée pour compte.

Alors que le royaume vante sa « résilience économique », des milliers de jeunes descendent dans la rue, dénonçant la dégradation des services publics, l’absence de perspectives, et le coût de la vie. En parallèle, les travailleurs du secteur des carburants menacent de grève, étranglés par une concurrence déloyale et une dérégulation qui profite aux puissants du secteur. Une question s’impose : à qui profite réellement cette croissance ?

Les riches plus riches, les pauvres plus nombreux

Le contraste est saisissant : d’un côté, une monarchie à la fortune colossale, souvent classée parmi les plus riches du continent, avec un patrimoine estimé à plusieurs milliards de dollars ; de l’autre, un peuple majoritairement pauvre, vivant avec moins de 3 000 dirhams par mois, voire beaucoup moins dans les zones rurales et périurbaines. La croissance, mesurée en points de PIB, ne reflète pas la réalité vécue au quotidien par la majorité des Marocains.

Les marges bénéficiaires colossales dans le secteur des carburants, l’opacité des marchés publics et l’absence de redistribution efficace des richesses alimentent un profond sentiment d’injustice. Alors que des milliards sont mobilisés pour des projets d’infrastructure prestigieux, stades, lignes TGV, événements internationaux, les hôpitaux manquent de médecins, les écoles tombent en ruine, et les jeunes diplômés peinent à trouver un emploi décent.

La rue gronde : la Génération Z tire la sonnette d’alarme

Les 27 et 28 septembre 2025, une mobilisation inédite a vu le jour dans plusieurs villes du pays. Portée par une jeunesse instruite, connectée, mais profondément désabusée, la contestation a révélé un divorce inquiétant entre le peuple et ses institutions. Ces jeunes ne se contentent plus de slogans vagues ou de promesses creuses. Ils exigent des engagements concrets, mesurables, traçables : investissements dans les hôpitaux, amélioration de l’école publique, réduction du chômage, et surtout une gouvernance transparente.

Leurs revendications ne sont ni partisanes ni violentes, mais profondément sociales. Elles questionnent les priorités budgétaires d’un État qui investit plus dans le prestige international que dans les besoins fondamentaux de sa population. Dans l’ombre de cette révolte générationnelle, un autre mouvement de contestation prend de l’ampleur : celui des gérants de stations-service. Confrontés à la prolifération du marché parallèle, à la concurrence des circuits informels et à l’inertie des autorités, ces professionnels dénoncent une situation intenable.

Une croissance sans redistribution : la fracture s’élargit

Malgré des alertes répétées et des courriers adressés aux ministères concernés, leur voix reste ignorée. La seule réponse institutionnelle ? Une réunion technique sur le marquage des produits pétroliers, loin des préoccupations centrales du secteur. Une grève nationale se prépare, menaçant de paralyser l’approvisionnement en carburant à l’échelle du pays. Le malaise est profond : les stations-service agréées respectent les normes et payent leurs charges, pendant que d’autres, illégales, opèrent à moindre coût.

Et pendant ce temps, les grandes sociétés de distribution engrangent des profits astronomiques. L’arrêté publié par le Haut-Commissariat au Plan dresse un tableau optimiste de l’économie marocaine. Mais la croissance macroéconomique n’a de sens que si elle se traduit en amélioration réelle des conditions de vie pour tous. Or, la tendance est tout autre : la richesse produite au sommet ne redescend pas. Pire, la répartition des efforts et des bénéfices reste déséquilibrée.

La Génération Z ne réclame pas l’impossible

Les entreprises proches du pouvoir et certains groupes d’intérêts s’enrichissent, pendant que la classe moyenne s’érode et que les plus modestes s’appauvrissent. La jeunesse perd foi en l’avenir, les services publics s’effondrent, et la colère s’installe durablement. L’illusion du développement ne peut plus masquer la réalité d’un Maroc à deux vitesses. L’État peut choisir de continuer à gouverner par chiffres et communiqués, ou il peut ouvrir les yeux sur les signaux de rupture qui se multiplient. La croissance sans justice sociale n’est qu’un mirage instable.

La Génération Z ne réclame pas l’impossible. Elle demande de vivre dignement, dans un pays qui investit autant dans ses citoyens que dans son image à l’international. Les professionnels du carburant, eux, demandent simplement des règles du jeu équitables et un dialogue sincère. Le roi, qui détient un pouvoir considérable et un patrimoine colossal, est face à une responsabilité historique. Peut-il continuer d’incarner l’unité d’un peuple qu’il semble de plus en plus déconnecté de ses réalités ?

Le Maroc de demain : réforme ou rupture

Le Maroc n’est pas à court de ressources. Il est à court de répartition équitable, de gouvernance participative et de vision sociale. Si la croissance actuelle est réelle, elle est aussi profondément inégalitaire. Et une société inégalitaire est une société vulnérable, instable, et sujette aux soubresauts. Ce pays a besoin de plus qu’un taux de croissance : il a besoin d’un pacte social renouvelé. Car sans réforme profonde et courageuse, la rupture pourrait s’imposer d’elle-même. Un roi averti…

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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