Benkirane, le Printemps arabe et la Génération Z : une jeunesse marocaine en révolte


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Abdelilah Benkirane
Abdelilah Benkirane

En 2025, une nouvelle génération marocaine descend dans la rue, portée par une colère profonde et structurée. Plus qu’une simple agitation passagère, ces mobilisations traduisent une rupture nette avec les promesses non tenues d’un modèle de développement inégalitaire. Dans ce climat tendu, l’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane revient sur le devant de la scène, surfant sur la vague contestataire. Tandis que les jeunes réclament dignité et justice sociale, le pouvoir vacille entre répression et récupération politique. Le Maroc, à nouveau, semble rejouer un scénario déjà connu.

Une génération en colère, un ancien Premier ministre en embuscade

Les manifestations de la génération Z, violemment dispersées par les forces de l’ordre dans plusieurs villes marocaines, ont réveillé les échos d’une décennie passée. Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD) et ancien Premier ministre, a saisi l’occasion pour réactiver un discours qu’il tenait dès 2021, juste avant les élections. À l’époque, il dénonçait déjà la candidature d’Aziz Akhannouch à la tête du gouvernement, affirmant que ce dernier « n’a que l’argent », sans idéologie ni vision politique.

Dans son allocution à Tanger, Benkirane a rappelé sa mise en garde de 2021, où il évoquait la possibilité d’un retour du Mouvement du 20 février si Akhannouch accédait au pouvoir. Ce mouvement, né en 2011 dans le sillage du Printemps arabe, avait marqué un tournant dans l’histoire politique récente du Maroc. Ironie du sort : Benkirane, alors chef du PJD, avait initialement interdit à ses membres de participer aux premières marches, jugées trop floues ou incontrôlées. Seuls quelques cadres comme Ramid ou Hamieddine avaient défié cette consigne.

Les manifestations de 2025 : un air de déjà-vu

Les 27 et 28 septembre 2025, une nouvelle génération, connectée et organisée via les réseaux sociaux et Telegram, a tenté de faire entendre sa voix dans plusieurs villes du royaume. Ces rassemblements spontanés dénonçaient la dégradation des services publics, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation. Le fossé générationnel est devenu visible : d’un côté une jeunesse réclamant dignité et équité ; de l’autre, un pouvoir préoccupé par la stabilité avant tout.

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La colère de cette jeunesse s’est cristallisée autour d’un drame bien réel : une série de décès maternels à l’hôpital Hassan-II d’Agadir. De simples faits divers sont devenus symboles d’un système de santé à bout de souffle. Les mesures gouvernementales, comme les inspections ou les limogeages, n’ont pas suffi à apaiser le ressentiment. Cette affaire, pourtant localisée, a fait tache d’huile, devenant un cri national d’alarme.

Des revendications claires, des slogans précis

Les collectifs comme Moroccan Youth Voice ou GenZ212 ont cadré leurs actions : non-violence, revendications centrées, communication rigoureuse. Le slogan principal ? « Dignité et services essentiels d’abord. » Une manière de remettre en cause les priorités nationales, comme les investissements colossaux dans les infrastructures pour la Coupe du Monde 2030, au détriment des besoins élémentaires des citoyens.

Face aux rassemblements, la réponse des autorités a été rapide et musclée : interpellations, dispersions, interdictions. Ces méthodes rappellent les pratiques répressives de l’ère pré-2011. Pourtant, cette génération parle un autre langage : celui des tableaux de bord, des échéances concrètes, des indicateurs de résultats. La violence policière ne fait que renforcer leur détermination.

Un appel politique à la désescalade

Le PJD, par la voix de son secrétariat général, a publié un communiqué appelant à la libération de tous les jeunes manifestants arrêtés. Ce positionnement humaniste vise à capitaliser politiquement sur la contestation sans pour autant en prendre directement la tête. Benkirane, fin tacticien, sait que l’opinion publique a changé depuis 2011. Aujourd’hui, l’opportunité de reconquérir une jeunesse désabusée pourrait s’avérer cruciale pour sa survie politique.

Le Maroc de 2025 est à la croisée des chemins. Malgré une croissance macroéconomique affichée et des chiffres impressionnants en matière d’investissement, le quotidien de millions de citoyens reste marqué par la précarité. La jeunesse diplômée mais sans emploi devient le symbole d’un modèle qui produit des élites, mais laisse les autres sur le bord de la route. Benkirane surfe habilement sur ce mécontentement.

Le retour du Printemps arabe à la marocaine ?

Alors que l’on croyait le spectre du Printemps arabe définitivement éloigné, la rue marocaine rappelle que les aspirations de justice sociale, de dignité et de participation politique n’ont jamais disparu. Benkirane, en ramenant sur la table le spectre du Mouvement du 20 février, veut relier cette nouvelle vague à une mémoire collective encore vive. Une stratégie qui peut séduire certains, mais qui interroge aussi sur la sincérité de son engagement.

Benkirane a toujours joué sur plusieurs tableaux : conservateur islamiste, pragmatique en matière économique, mais aussi fin orateur populiste. Aujourd’hui, face à un gouvernement affaibli et une jeunesse en éveil, il cherche à retrouver sa légitimité perdue. Mais son passé, marqué par des compromis avec le pouvoir central, pourrait le rattraper. Reste à savoir si la génération Z est prête à lui accorder une seconde chance.

La jeunesse : moteur ou menace pour le pouvoir ?

Les semaines à venir seront déterminantes. La génération Z, bien organisée, semble déterminée à inscrire ses revendications dans la durée. Le pouvoir peut choisir le dialogue ou le verrouillage autoritaire. Mais une chose est certaine : cette jeunesse ne se contentera plus de promesses. Elle réclame des résultats mesurables, tangibles, vérifiables. Un nouveau contrat social semble inévitable.

En 2011, le roi Mohammed VI avait désamorcé la crise avec des réformes institutionnelles et une ouverture partielle du jeu politique. En 2025, les conditions ont changé. L’urgence n’est plus seulement politique, elle est sociale, économique et générationnelle. Dans ce contexte, Benkirane tente de redevenir l’homme du moment. Mais il lui faudra plus qu’un bon discours pour convaincre une jeunesse qui n’a pas vécu le Printemps arabe, mais qui en incarne peut-être le prolongement.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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