
Alors que des manifestations ont secoué le pays ce week-end, la colère populaire vise directement Mohammed VI, jugé déconnecté de la réalité d’un peuple en difficulté. Dans le même temps, le regard se tourne vers son fils, le prince héritier Moulay Hassan, perçu par certains comme une possible réponse à la méfiance qui touche le pouvoir politique.
Des manifestations pacifiques réprimées
Samedi et dimanche, plusieurs rassemblements pacifiques ont eu lieu à Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech. Des centaines de Marocains, majoritairement jeunes, sont descendus dans la rue pour dénoncer la vie chère, le chômage endémique et l’absence de perspectives.
Les slogans, d’abord centrés sur la crise sociale, ont rapidement pris une dimension politique, visant directement Mohammed VI. Dans certaines villes, des pancartes et graffitis dénonçaient le faste royal et son alliance avec Israël.
La police a réagi avec fermeté : plusieurs dizaines d’arrestations ont été recensées, confirmant la nervosité du régime face à cette contestation inédite, menée par une jeunesse déterminée à faire entendre sa voix. Plusieurs manifestants ont été arrétés pendant des interviews, les forces de sécurité voulant émpécher l’émergence de meneurs dans ce mouvement spontané.
Mohammed VI, un roi aux amitiés tapageuses
Depuis plusieurs années, Mohammed VI s’affiche régulièrement entouré de célébrités internationales. Ses amitiés avec des stars du sport de combat comme Abou Azaitar, champion de MMA, et ses frères, ainsi que ses contacts avec de grands noms du show-business et du luxe, sont abondamment relayés sur les réseaux sociaux. Ces images contrastent violemment avec la pauvreté qui frappe une grande partie de la population.
Son goût pour les voitures de collection, ses séjours prolongés à Paris ou au Gabon auprès de proches oligarques, et plus récemment son alliance politique avec Israël, renforcée après la normalisation de 2020, ajoutent à la colère. En effet, le peuple du Maroc reste attaché à la défense de la Palestine.
Pour beaucoup, Mohammed VI apparaît comme un monarque coupé des réalités, davantage tourné vers ses cercles mondains et diplomatiques que vers les préoccupations de son peuple.
La Génération Z en première ligne
La vague de contestation est portée par une Génération Z marocaine particulièrement active sur les réseaux sociaux. Menés par Moroccan Youth Voice et GenZ212, inspirés par le mouvement du 20-Février en 2011, le pendant marocain du Printemps arabe, mais sans structures politiques établies, ces jeunes mobilisent autour de hashtags, de vidéos virales et de slogans appelant à plus de dignité.
Des collectifs étudiants, des associations culturelles et des mouvements citoyens locaux, comme ceux actifs dans les quartiers populaires de Casablanca ou les campus universitaires de Rabat, jouent un rôle central dans cette effervescence. Leur mot d’ordre : « un avenir digne dans notre pays », message simple mais percutant qui trouve un écho grandissant dans la rue.
L’héritage d’Hassan II en toile de fond
La comparaison avec son père, Hassan II, revient fréquemment dans les discussions populaires. Le défunt souverain était certes réputé pour sa poigne de fer et ses années de répression, mais il cultivait aussi une image de proximité avec son peuple, multipliant les déplacements et les discours solennels. Là où Hassan II incarnait l’autorité et le respect mêlés à la crainte, Mohammed VI apparaît aux yeux de beaucoup comme un roi absent, trop discret dans les affaires de l’État et trop visible dans ses loisirs ostentatoires. Cette différence d’attitude nourrit l’impression d’un vide au sommet, aggravant la crise de légitimité actuelle.
Les partis politiques d’opposition dénoncent les inégalités croissantes et la répression des manifestants, mais restent prudents face à la question monarchique. Certains responsables laissent néanmoins entendre qu’un changement générationnel serait nécessaire. Une manière indirecte de répondre à la colère de la jeunesse, tout en restant dans les limites imposées par le système politique marocain.
Moulay Hassan, l’autre visage du palais
Contrairement à son père, le prince héritier Moulay Hassan cultive une image de sobriété et de proximité. Très jeune, il a marqué les esprits en refusant le baisemain, ce rituel protocolaire imposé depuis des générations aux Marocains face au souverain. Ce geste, perçu comme une volonté de moderniser l’étiquette monarchique, a été largement salué, notamment par la jeunesse qui y voit un signe de rupture avec les pratiques jugées archaïques.
À seulement 22 ans, le prince apparaît comme un visage neuf, plus en phase avec son époque. Là où Mohammed VI affiche son goût pour le luxe, les voitures de collection et les cercles mondains, Moulay Hassan cultive au contraire un profil discret. On le décrit comme studieux, concentré sur sa formation académique et diplomatique, et peu enclin aux excès de son père.
La proximité du prince avec sa mère, Lalla Salma — surnommée la « princesse fantôme » depuis son effacement de la scène publique, mais toujours aimée des marocains et des marocaines pour qui elle a beaucoup oeuvré — contribue aussi à forger cette image alternative. Alors que Mohammed VI est critiqué pour sa vie fastueuse et son éloignement du peuple, Moulay Hassan incarne la simplicité et une certaine normalité familiale. On le voit souvent dans des tenues sobres, évitant les démonstrations d’opulence qui alimentent le rejet de son père.
Pour une Génération Z marocaine avide de reconnaissance et d’avenir, Moulay Hassan apparaît comme l’incarnation possible d’un nouveau contrat entre la jeunesse et le pouvoir.
Un roi jeune pour un peuple jeune ?
Si son accession au trône n’est pas à l’ordre du jour, le prince héritier incarne déjà, malgré lui, une alternative. Dans les slogans murmurés lors des manifestations, dans les discussions des campus universitaires ou sur les réseaux sociaux, son nom revient comme une solution implicite à la crise de légitimité que traverse la monarchie.
L’idée d’un « roi jeune pour un peuple jeune » séduit une partie de la population : un souverain qui partagerait les codes d’une génération connectée, plus sensible aux réalités sociales et moins obsédée par le faste et les privilèges.