
Après huit années d’absence médiatique, l’ex-épouse du roi Mohammed VI a effectué une visite hautement symbolique au CHU de Fès le 16 septembre 2025. Cette réapparition, loin d’être fortuite, révèle une stratégie méticuleusement orchestrée par le Palais royal. Analyse d’un retour qui en dit long sur les mutations de la monarchie marocaine.
La date du 16 septembre 2025 est importante dans les annales de la communication royale marocaine. Ce jour-là, Lalla Salma, surnommée la « princesse fantôme » depuis son divorce en 2018, a brisé près d’une décennie de silence médiatique. Mais contrairement aux apparitions spontanées captées par des téléphones portables en Grèce ou à Tanger, cette visite au Centre Hospitalier Universitaire Hassan II de Fès portait tous les stigmates d’une opération soigneusement planifiée sans qu’aucune image n’ait fuitée.
L’annonce préalable par Najib Addadi, présenté par les médias spécialisé comme une figure influente proche du Palais, sur le réseau social X (anciennement Twitter), ne laisse aucun doute : cette sortie avait reçu l’imprimatur royal. Dans un système monarchique où chaque geste public est scruté et où rien n’est laissé au hasard, l’autorisation de Mohammed VI apparaît comme une évidence. Les médias marocains, habituellement muselés sur le sujet de l’ancienne première dame, ont cette fois-ci relayé l’événement avec une synchronisation parfaite – signe irréfutable d’un feu vert venu d’en haut.
Le paradoxe de l’invisibilité visible
L’aspect le plus intrigant de cette réapparition réside dans son caractère paradoxal : une visite annoncée, confirmée, documentée… mais totalement invisible. Aucune photographie, aucune vidéo, aucun cliché officiel n’a émergé de ces trois heures passées entre les murs de l’hôpital. Cette absence d’images, loin d’être accidentelle, témoigne d’un contrôle absolu de la communication.
Le Palais a ainsi réussi un tour de force : faire exister médiatiquement Lalla Salma sans pour autant lui redonner une visibilité complète. C’est une forme de réhabilitation à demi-teinte, un statut intermédiaire entre l’effacement total et le retour en grâce. Cette stratégie permet de tester les réactions publiques tout en gardant le contrôle sur le narrative.
Fès : un choix géographique hautement symbolique
Le choix de Fès comme théâtre de cette réapparition ne doit rien au hasard. Ville natale de Salma Bennani, c’est là qu’elle a grandi après la mort prématurée de sa mère, élevée par sa grand-mère dans le quartier populaire. C’est aussi à Fès qu’elle avait effectué l’une de ses dernières visites officielles en solo, en 2017, juste avant sa disparition de la scène publique.
En retournant à ses racines, Lalla Salma envoie un message subliminal : elle reste fidèle à ses origines et à ses engagements humanitaires, indépendamment de son statut matrimonial. L’hôpital, et plus particulièrement le service d’oncologie qu’elle connaît bien, représente le terrain neutre par excellence – un espace où son action caritative transcende les considérations politiques ou protocolaires.
L’Association Lalla Salma : un levier de légitimité préservé
Depuis 2005, l’Association Lalla Salma de Lutte Contre le Cancer constitue l’œuvre majeure de l’ancienne princesse consort. Malgré le divorce et l’effacement médiatique, cette structure est restée active, témoignant d’une forme de continuité institutionnelle remarquable. Les infrastructures développées – unités de greffe de moelle osseuse, hôpitaux de jour pour la chimiothérapie, l’espace « Dar Al-Hayat » avec ses 48 lits – constituent un héritage tangible qui légitime son retour.
Cette visite « en tant que présidente de l’Association » offre un cadre juridique et protocolaire parfait : elle n’est pas l’ex-épouse du roi qui réapparaît, mais la présidente d’une fondation reconnue d’utilité publique qui reprend ses activités. C’est une distinction subtile mais cruciale dans le contexte monarchique marocain.
Une réhabilitation progressive à l’horizon ?
L’hypothèse d’une réhabilitation graduelle de Lalla Salma prend corps à la lumière de plusieurs éléments convergents. D’abord, le timing : cette réapparition intervient alors que ses enfants, le prince héritier Moulay El Hassan (22 ans) et la princesse Lalla Khadija (18 ans), atteignent l’âge adulte et multiplient les engagements officiels. La présence publique de leur mère pourrait renforcer l’image de stabilité de la famille royale.
Ensuite, le contexte sanitaire du roi Mohammed VI, dont les problèmes de santé récurrents alimentent les spéculations, pourrait nécessiter une redistribution des rôles au sein de l’institution monarchique. Lalla Salma, toujours populaire auprès des Marocains qui la considèrent comme une « princesse du peuple« , pourrait constituer un atout de soft power non négligeable.
L’histoire des monarchies offre peu d’exemples comparables. Les épouses royales divorcées disparaissent généralement de la scène publique de manière définitive. Le cas de Diana Spencer au Royaume-Uni reste exceptionnel. Au Maroc même, les épouses des monarques précédents n’avaient jamais eu de visibilité publique, rendant le cas de Lalla Salma unique dans les annales du royaume chérifien.
Ce précédent pourrait ouvrir la voie à une redéfinition du rôle des membres de la famille royale, particulièrement dans un contexte où la monarchie cherche à moderniser son image tout en préservant ses prérogatives traditionnelles.
Les implications pour l’avenir
Cette réapparition soulève plusieurs questions cruciales pour l’avenir de la monarchie marocaine. Si Lalla Salma devait progressivement retrouver une forme de visibilité publique, quel serait son statut exact ? Comment articuler sa présence avec celle de ses enfants, appelés à jouer un rôle croissant dans l’appareil monarchique ?
La gestion de ce retour constitue un test pour la capacité d’adaptation de l’institution royale. Entre tradition et modernité, entre contrôle absolu et ouverture mesurée, le Palais navigue en eaux troubles. La stratégie adoptée – une visibilité sans images, une présence sans représentation – témoigne de cette tension permanente.
Dans un royaume où le silence vaut parfois plus que les mots, où l’absence d’images peut être plus éloquente que mille photographies, cette visite fantôme de la « princesse fantôme » nous rappelle que le pouvoir royal reste maître du temps et du récit. Lalla Salma est revenue, mais selon des modalités qui préservent l’autorité absolue du Palais sur sa narration.