
Un ancien haut responsable des services secrets marocains en fuite en Espagne fait trembler l’establishment de Rabat. Mehdi Hijaouy, ex-cadre de la DGED, détenteur présumé de secrets d’État compromettants, est au cœur d’une affaire qui révèle les luttes de pouvoir féroces au sommet du royaume chérifien. Entre campagne de dénigrement orchestrée et révélations embarrassantes, cette fuite expose les fractures profondes du régime de Mohammed VI.
L’affaire Mehdi Hijaouy, ancien cadre de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), secoue les hautes sphères du pouvoir marocain. Âgé de 52 ans, cet homme présenté comme un ancien haut responsable du renseignement extérieur marocain, parfois comme son numéro 2, a pris la fuite vers l’Europe, déclenchant une tempête médiatique et diplomatique sans précédent.
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Après un passage par la France où il aurait été étroitement surveillé par les services marocains, Hijaouy s’est réfugié en Espagne où il a demandé l’asile politique. Arrêté sur la base d’un mandat d’arrêt international émis par le Maroc en septembre 2024, il a été libéré sous contrôle judiciaire par l’Audiencia Nacional de Madrid. Les charges retenues contre lui sont lourdes : appartenance à une organisation criminelle, escroquerie aggravée, faux et usage de faux, et facilitation d’immigration illégale.
Une disparition mystérieuse qui intrigue
Le rebondissement le plus spectaculaire de cette affaire reste la disparition soudaine de Hijaouy. Ne se présentant plus aux convocations judiciaires espagnoles, il est désormais considéré comme un fugitif. Des sources sécuritaires marocaines évoquent une possible protection par le Centre National d’Intelligence (CNI) espagnol dans la banlieue de Madrid, hypothèse qui, si elle se confirmait, confirmerait son importance.
Cette disparition soulève de nombreuses questions légitimes. Hijaouy affirme détenir des « informations stratégiques » sur le royaume et craint pour sa vie en cas d’extradition. Ses avocats français, William Bourdon et Vincent Brengarth, figures respectées du barreau international, dénoncent une « procédure strictement politique adossée à un coup monté judiciaire » et ont saisi Interpol pour contester le mandat d’arrêt international. Le fait que des avocats de cette envergure sont un autre élément sur l’importance d’Hijaouy.
Un parcours controversé au cœur des services secrets
Le parcours de Mehdi Hijaouy au sein de la DGED fait l’objet de versions contradictoires. Si certains médias espagnols le présentent comme un haut responsable ayant servi de 1993 à 2014, des sources marocaines affirment qu’il a été « viré pour faute professionnelle grave » dès 2010, après seulement sept années de service effectif.
Deux événements semblent avoir précipité la chute de Hijaouy. D’abord, sa défense publique des frères Azaitar, ces champions de MMA germano-marocains devenus les controversés compagnons du roi Mohammed VI. Abu Bakr, Ottman et Omar Azaitar, malgré leurs antécédents judiciaires en Allemagne pour violences et escroquerie, jouissent d’une proximité extraordinaire avec le souverain, au grand dam de l’establishment sécuritaire marocain qui craint que des informations sensibles sur cette relation puissent fuiter.
Ensuite, Hijaouy aurait remis en 2023 au roi Mohammed VI un « Livre blanc sur le renseignement, la sécurité et la défense nationale« , geste perçu comme révélateur d’ambitions personnelles dans un contexte de luttes intestines pour le positionnement en vue de la succession au trône. Ces deux actes auraient été interprétés comme des provocations par les cercles du pouvoir, notamment par Abdellatif Hammouchi (DGST) et Yassine Mansouri (DGED) affirment les sources espagnoles.
Une campagne de dénigrement orchestrée
L’affaire Hijaouy a déclenché une véritable guerre médiatique révélatrice des méthodes du pouvoir marocain. La presse liée au régime mène une campagne de dénigrement, tentant de discréditer l’homme pour minimiser l’importance des révélations qu’il pourrait faire. Des médias comme Le360, Hespress et Barlamane publient des articles à charge, le qualifiant d' »escroc mythomane » dans une tentative évidente de décrédibiliser son témoignage.
Cette campagne de diffamation systématique révèle la panique qui s’est emparée des cercles du pouvoir. Le fait que des médias notoirement proche de l’appareil sécuritaire se mobilisent avec une telle virulence suggère que les informations détenues par Hijaouy, réelles ou pas, représentent une menace réelle pour le régime.
Les informations qu’il détient concerneraient les opérations clandestines de la DGED en Europe, notamment le recrutement et la corruption de politiciens et journalistes pour soutenir les positions marocaines sur le Sahara occidental.
Plus grave encore, ses révélations pourraient éclairer les liens troubles du régime avec le programme d’espionnage Pegasus, utilisé pour surveiller opposants, journalistes et défenseurs des droits humains.
L’affaire expose également les luttes de pouvoir impitoyables au sein de l’appareil sécuritaire marocain rapporte Le Monde. Le climat de purges internes qui règne actuellement révèle un système en pleine décomposition, où chaque clan tente de se positionner favorablement en prévision de la succession monarchique.
Les répercussions de l’affaire Hijaouy
Les autorités marocaines ne se sont pas contentées de poursuivre Hijaouy. Une vague d’arrestations a touché ses proches et associés rapporte Le Monde, incluant des membres de sa famille et d’anciens collègues des services de sécurité. Les avoirs d’une dizaine de membres de sa famille auraient été gelés, accompagnés d’interdictions de voyager.
L’affaire Hijaouy constitue un révélateur des dysfonctionnements qui minent le régime marocain. La violence de la réaction trahit une peur panique face aux révélations potentielles d’un homme qui connaît trop bien les rouages secrets du système.
Les informations détenues par Hijaouy représentent manifestement une menace existentielle pour certains cercles du pouvoir. Sa connaissance intime des opérations clandestines, des réseaux d’influence et des pratiques du régime fait de lui un témoin dangereux à faire taire à tout prix. Le fait qu’il ait pris la défense des frères Azaitar et remis un Livre blanc au roi suggère qu’il a tenté, avant sa fuite, de jouer un rôle dans la recomposition du pouvoir – tentative qui s’est retournée contre lui.
Alors que Hijaouy reste introuvable, vraisemblablement protégé par des services occidentaux conscients de la valeur de ses informations, son affaire continue de fragiliser un régime déjà ébranlé. L’affaire Hijaouy pourrait bien n’être que la partie émergée d’un iceberg bien plus imposant.