
Entrepreneur marocain établi à Paris, Mustapha Aziz présente un profil singulier. Condamné à six ans de prison ferme par la justice marocaine pour faux et usage de faux dans l’affaire de l’héritage du milliardaire Lahcen Jakhoukh, il affirme parallèlement avoir mené, sur l’instigation des services de renseignement marocains (DGED), des activités diplomatiques officieuses de lobbying au service du Maroc. Sur fond de luttes de clans, ces allégations personnelles trouvent un écho particulier dans un contexte européen marqué par plusieurs affaires d’influence du Royaume chérifien liées au dossier du Sahara occidental.
Ancien journaliste économique, Mustapha Aziz a dirigé le groupe maritime Satram-Drapor avant de se retrouver au cœur d’un litige successoral complexe. Le dossier court depuis novembre 2022, enclenché sur une citation directe déposée par des ayants droit de Lahcen Jakhoukh, fondateur du groupe Satram. Le 5 mai 2015, Lahcen Jakhoukh, alité et gravement malade, avait en effet institué Mustapha Aziz comme légataire universel dans un testament dicté en présence de son notaire.
La famille conteste la validité de ces documents, évoquant « un acte d’hérédité établi à l’insu des héritiers légaux sur le fondement d’un testament non reconnu au Maroc ». La condamnation prononcée par contumace a été vivement contestée par l’intéressé, qui dénonce un procès politique.
« Le Maroc de Demain » : une vitrine parisienne
Malgré ces déboires judiciaires, Aziz poursuit ses activités depuis la capitale française. En 2024, depuis Paris, il lance le mouvement « Maroc de Demain », présenté comme une initiative visant à fédérer la diaspora autour de l’investissement et de la modernisation. Cette démarche, explique-t-il, s’inscrit dans sa volonté affichée de contribution au développement de son pays d’origine, malgré sa situation judiciaire au Maroc.
C’est dans ce contexte de reconstruction de son image publique qu’émergent ses révélations les plus explosives sur les méthodes diplomatiques marocaines.
Des révélations sur un système d’influence
Dans un article publié par « Akhbarona Aljalia » en mai 2025, Aziz est présenté comme ayant porté une « accusation publique » contre le patron du renseignement extérieur, Yassine Mansouri, l’accusant « de l’avoir missionné pour des affaires sensibles… avec valises d’argent, passeport diplomatique« . Plus précisément, selon ses déclarations vidéo, il affirme que Yassine Mansouri lui aurait remis 500 000 dollars pour mener des opérations de lobbying auprès de sénateurs américains et français, dans le but d’influencer Christopher Ross, l’envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental, afin qu’il modifie son rapport jugé « accablant pour le Maroc« .
Ces affirmations détaillées, bien qu’impossibles à vérifier auprès des intéressés, trouvent un large écho car elles s’inscrivent dans un contexte plus large d’enquêtes européennes sur les outils d’influence, voire de corruption, marocains, qui décrivent des méthodes d’intervention peu orthodoxes dans les processus onusiens.
Loin d’être isolées, ces déclarations font écho à une série d’affaires qui ont récemment éclaboussé les institutions européennes, révélant l’ampleur des opérations d’influence et de corruption orchestrées depuis Rabat.
Le contexte européen : La machine d’influence marocaine à l’œuvre
Plusieurs affaires ont récemment dévoilé l’ampleur du système d’influence marocain au sein les institutions européennes, visant à légitimer l’occupation illégale du Sahara Occidental.
En Belgique, les investigations de la Radio Télévision Belge Francophone ont en effet révélé l’existence d’un système de corruption systématique orchestré par Rabat pour « engager des eurodéputés à bien voter« , impliquant une « triple alliance : eurodéputés, sociétés de lobbying, services de renseignement marocain (DGED)« .

En 2022, quatre députés bruxellois se sont rendus au Sahara occidental dans des conditions suspectes, bénéficiant manifestement de l’hospitalité marocaine pour cautionner l’occupation du territoire sahraoui. Ces voyages s’inscrivent dans la stratégie marocaine de normalisation de sa présence sur un territoire que le Pays occupe illégalement depuis 1975, sans reconnaissance onusienne.
En France, l’affaire « BFM TV » illustre parfaitement la pénétration de la propagande marocaine dans les médias européens. Le journaliste Rachid M’Barki a été licencié après avoir diffusé des contenus non validés par la rédaction de la chaîne, notamment un sujet sur un forum économique entre le Maroc et l’Espagne où il présentait frauduleusement Dakhla comme relevant du « territoire marocain » – une violation flagrante du droit international qui reconnaît le Sahara occidental comme territoire non autonome. L’ex- journaliste a finalement reconnu avoir reçu entre 6.000 et 8.000 euros du lobbyiste Jean-Pierre Duthion pour la diffusion de cette fausse information. Révélateur : depuis son licenciement, il travaille désormais au Maroc, où il présente un magazine quotidien sur Atlantic Radio et développe en parallèle des activités de conseil – une reconversion facile.
Ces cas européens donnent une grille de lecture particulièrement éclairante pour analyser l’arsenal déployé par Rabat.
Les méthodes du Maroc dévoilées
Ces révélations mettent en lumière les méthodes employées par le régime marocain pour influencer l’opinion européenne :
- Versements financiers : rémunérations à des journalistes et personnalités européennes, comme l’a reconnu l’ex-journaliste de « BFM TV ».
- Voyages tous frais payés : invitation de personnalités influentes dans les territoires occupés pour les compromettre et les gagner à « la cause ».
- Infiltration médiatique : placement d’agents d’influence dans les rédactions européennes.
- Lobbying institutionnel : création de fondations et groupes d’amitié pour contourner les règles de transparence de la vie publique qui limitent la corruption.
À la lumière de ce modus operandi désormais documenté, les affirmations de Mustapha Aziz prennent une dimension nouvelle et interrogent sur l’étendue réelle du système qu’il prétend avoir servi.
Une lecture révélatrice des méthodes marocaines
Le cas Aziz soulève plusieurs interrogations sur la machine de guerre informationnelle du Maroc.
Sur la crédibilité : bien que ses déclarations, concernant son rôle diplomatique officieux, restent non étayées par des preuves documentées, elles s’inscrivent parfaitement dans un contexte où des pratiques d’influence pro-Rabat ont été largement avérées dans plusieurs pays européens. La cohérence de son témoignage avec les révélations du Marocgate et de l’affaire « BFM TV » lui confère une vraisemblance troublante.
Sur le contexte judiciaire : la condamnation pour faux constitue paradoxalement un élément de crédibilité, illustrant les méthodes répressives du régime marocain contre ceux qui révèlent ses secrets. Le timing de cette condamnation, intervenue après ses révélations, pourrait traduire une volonté de discréditer un témoin gênant plutôt qu’une véritable justice.

Sur l’enjeu démocratique : les enquêtes européennes révèlent que « depuis 2009, les votes pertinents du Parlement européen ont principalement porté sur l’approbation parlementaire des accords de coopération bilatéraux UE-Maroc, incluant le territoire du Sahara occidental » – une complicité européenne dans la spoliation des ressources sahraouies qui interroge l’intégrité des processus décisionnels démocratiques. En parallèle, la Cour de Justice Européenne a néanmoins rappelé plusieurs fois le principe du droit du peuple Sahraoui à décider seul de son avenir.
Face à cette instrumentalisation scandaleuse des institutions démocratiques, l’urgence d’une prise de conscience s’impose.
L’urgence d’une prise de conscience
Cette affaire illustre la sophistication de la machine d’influence marocaine, qui exploite les failles démocratiques européennes pour imposer comme un fait accompli son occupation du Sahara Occidental, tout en empêchant parallèlement d’autres eurodéputés non alignés de pénétrer au Sahara.
Le témoignage d’Aziz, qu’il soit celui d’un repenti du système ou d’un manipulateur en quête de rédemption, révèle les moyens déployés par Rabat pour falsifier des rapports onusiens, ce qui suscite des interrogations quant à leur crédibilité.
Dans ce contexte, l’action des tribunaux internationaux est nécessaire pour éclairer l’opinion internationale sur l’ampleur de ces scandales qui tous portent atteinte au droit international et aux aspirations légitimes du peuple sahraoui à une autodétermination, indéfiniment reportée par un système marocain corrompu visant à assurer définitivement l’occupation de leur territoire par son armée.