Voitures de luxe et sobriété royale : un contraste du roi Mohammed VI qui interroge


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Hypercar Laraki Sahara
Hypercar Laraki Sahara

À quelques jours de la fête de l’Aïd el-Adha, une célébration importante pour les musulmans du monde entier, le roi Mohammed VI du Maroc a choisi de ne pas organiser de cérémonies officielles ni de réceptions royales. Une décision que beaucoup ont saluée comme un geste de sobriété dans un contexte national et régional marqué par des tensions économiques, l’inflation et les conséquences sociales d’une sécheresse persistante. Pourtant, cette volonté affichée de discrétion se voit aujourd’hui mise à mal par une actualité qui fait désordre : l’acquisition de deux voitures de luxe estimées à plus de 4,4 millions de dollars, révélée en grande pompe par certains médias marocains.

La presse marocaine est revenue, dans sa publication de ce mercredi 28 mai 2025, sur l’acquisition par le roi Mohammed VI de deux voitures de luxe. Les deux véhicules en question, les Laraki Sahara, sont les modèles les plus chers jamais produits sur le continent africain. Ils symbolisent l’excellence technologique marocaine et le savoir-faire d’une marque nationale fondée en 1999. Sur le plan industriel, l’émergence d’un constructeur marocain de ce calibre mérite d’être saluée. Mais c’est bien moins l’innovation que le timing de cette médiatisation qui suscite le malaise.

Alors que la majorité des Marocains font face à une vie de plus en plus chère, que le chômage des jeunes demeure élevé, et que les campagnes souffrent encore des effets de la crise climatique, voir la presse nationale (souvent prudente sur les questions royales) vanter les mérites d’un bolide de 1 550 chevaux, dont seuls deux exemplaires existent, tous deux appartenant au monarque, a de quoi surprendre. Le contraste est saisissant, presque indécent.

Une communication à double vitesse

Car l’information n’est pas tombée par hasard. Elle a été largement relayée dans les médias marocains à quelques jours seulement de l’Aïd el-Adha, dans une période pourtant sensible, marquée par un appel à la retenue de la part même du roi. Il ne s’agit pas ici de nier à Mohammed VI le droit à une passion pour l’automobile (une passion héritée de son père et de son grand-père, alimentée depuis l’enfance) ni de lui reprocher d’entretenir une collection privée, aussi impressionnante soit-elle. Mais à l’heure où les citoyens sont appelés à faire preuve de patience et de résilience, le faste affiché dérange.

Plus qu’un simple effet de contraste, il s’agit d’un signal brouillé sur le plan de la communication royale. D’un côté, un souverain qui annule des festivités religieuses pour exprimer solidarité et sobriété ; de l’autre, une mise en lumière d’un luxe démesuré, incarné par ces voitures de collection dont le prix équivaut à celui de milliers de moutons de l’Aïd. Le message en devient contradictoire. Dans une monarchie où chaque geste royal est scruté et interprété, l’image compte. Et ici, l’image est malheureuse.

L’ambiguïté d’un symbole national

Les défenseurs de cette mise en avant pourraient arguer que le Laraki Sahara est un produit national. Et qu’en faire l’acquisition participe à soutenir l’industrie automobile marocaine. C’est vrai, mais partiellement. Car ce modèle, par sa nature, ne s’adresse ni à l’exportation massive ni à la consommation populaire. Il ne s’agit pas d’un véhicule accessible ou d’un produit de fierté collective que l’on verrait circuler sur les routes du pays. C’est un objet de luxe destiné à rester dans des garages royaux, parfois exposé dans des musées ou lors de salons privés, mais jamais réellement « partagé » avec le peuple.

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En réalité, cette acquisition illustre un paradoxe plus profond : comment concilier pouvoir absolu, richesse privée et attentes publiques dans une monarchie moderne ? Le roi du Maroc est à la fois chef d’État, commandeur des croyants et figure symbolique du peuple. À ce titre, ses choix personnels (surtout ceux qui sont publiquement mis en avant) ont une portée politique, qu’ils le veuillent ou non.

Un malaise révélateur

Ce n’est pas la première fois que le train de vie royal suscite des remous au Maroc. Déjà, par le passé, des polémiques avaient émergé autour des voyages privés du roi, des rumeurs de dépenses somptuaires ou de l’usage de jets privés. Mais la période actuelle est particulièrement délicate. Entre la crise économique, les tensions sociales, et la préparation de grandes échéances comme la Coupe d’Afrique des Nations 2025 que le Maroc accueillera, le pays est à un tournant. La jeunesse marocaine, de plus en plus connectée et informée, regarde avec attention ce que fait le pouvoir. Ce que fait son roi, le Commandeur des croyants.

Cette jeunesse marocaine, que le souverain ce cesse d’appeler à l’austérité, attend autre chose qu’un récit de voitures hors de prix. Car dans les rues de Casablanca, de Fès ou de Marrakech, les préoccupations sont d’un autre ordre : trouver un emploi, accéder à un logement, s’acheter un mouton pour l’Aïd, ou simplement vivre dignement. La presse marocaine, en remettant au goût du jour cette information sur les voitures royales, à ce moment précis, pose indirectement une question dérangeante : à qui parle-t-on, et pourquoi maintenant ?

Une déconnexion à corriger

Cet épisode, s’il reste anecdotique en surface, révèle en profondeur une tension grandissante entre le faste d’un pouvoir monarchique et les attentes populaires en quête de sobriété, de justice sociale et de transparence. Surtout que c’est un secret de polichinelle : Mohammed VI est présenté comme le roi le plus riche d’Afrique. Il ne s’agit pas ici de s’en prendre à un roi Mohammed VI passionné d’automobile, mais de rappeler que les symboles ont un poids. Surtout en temps de crise.

À l’heure où le Maroc veut s’afficher comme une puissance régionale stable, tournée vers l’avenir, les images de luxe débridé auraient dû être maniées avec beaucoup de prudence.  Car une collection de voitures, fussent-elle marocaines, ne pourra jamais rouler plus vite que le regard critique d’un peuple en éveil. Un peuple de plus en plus connecté et qui scrutent, à la loupe, les moindres gestes d’une monarchie qui se veut moderne ou archaïque selon ses… humeurs.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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