
Mohammed VI, un rendez-vous avec l’Histoire
Le Maroc retient son souffle. Ce vendredi, le roi Mohammed VI prononcera son traditionnel discours d’ouverture du Parlement. Mais cette fois, le contexte n’a rien de traditionnel. Alors que le pays traverse une des plus grandes secousses sociales depuis le Printemps arabe, une question brûle toutes les lèvres, et fait l’objet de débats enflammés dans les rues, les salons et sur les réseaux sociaux : le souverain est-il prêt à redistribuer une partie de sa fortune au profit des plus démunis ?
Cette interrogation, impensable il y a encore quelques mois, est désormais au cœur d’un mouvement inédit, à la fois numérique et citoyen, porté par une jeunesse connectée et consciente de ses droits. GenZ 212, comme elle se nomme, est née d’un cri de colère. Mais c’est un cri organisé, structuré, lucide, et profondément marocain. Aujourd’hui, et plus que jamais, ce mouvement est tout ouïe pour le roi Mohammed VI.
Quand les jeunes posent la question que tout le monde évitait
Depuis fin septembre, les manifestations se multiplient dans tout le pays : Rabat, Agadir, Aït Amira… toutes unies par une même revendication : justice sociale. Si l’étincelle est venue d’un drame, la mort tragique de huit femmes enceintes dans un hôpital public d’Agadir, le feu couvait depuis longtemps. Chômage endémique des jeunes (près de 37%), hôpitaux délabrés, écoles surpeuplées… les symptômes d’un modèle à bout de souffle se multiplient.
Mais au-delà des chiffres, ce qui frappe aujourd’hui, c’est le changement de ton. GenZ 212 ne demande pas une simple réforme cosmétique. Elle interpelle directement le roi. Et demande un geste fort : que Mohammed VI engage sa fortune personnelle au service du peuple. Le roi du Maroc est considéré comme l’un des monarques les plus riches au monde. À travers la holding Al Mada, il détient des parts dans de nombreux secteurs vitaux : banques, mines, télécoms, énergie, immobilier… Selon certaines estimations, sa fortune se compte en milliards de dollars.
Mohammed VI face à un choix historique
Face à une population qui peine à accéder aux soins ou à offrir une éducation digne à ses enfants, cette concentration de richesse interroge. Le collectif ne réclame pas une aumône ni un geste ponctuel. Il propose un fonds de solidarité durable, financé en partie par le patrimoine royal, pour moderniser l’éducation, sauver les hôpitaux et créer des opportunités d’avenir. Mohammed VI, depuis son accession au trône en 1999, a su incarner la stabilité dans une région en ébullition. Réformateur à ses débuts, il avait promis un Maroc nouveau, moderne, inclusif. Mais depuis quelques années, le fossé entre les discours et la réalité s’est creusé.
Vendredi, il a l’occasion de reprendre la main. Il peut s’en tenir à des généralités – appel au calme, dialogue avec les institutions, promesses de réformes. Ou il peut choquer le système, dans le bon sens du terme. Dissoudre un gouvernement discrédité. Lancer une grande réforme de redistribution. Et oui, pourquoi pas : proposer un mécanisme transparent de contribution royale au développement social. Ce ne serait ni une faiblesse, ni un précédent dangereux. Ce serait un acte d’autorité morale, un geste politique fort — et peut-être la seule façon de restaurer le lien de confiance entre le trône et une jeunesse en perte d’espoir.
« Nous voulons des hôpitaux, pas seulement des stades »
Ce slogan, scandé dans plusieurs villes, résume à lui seul l’ampleur du malaise. Le Maroc s’apprête à co-organiser la Coupe du monde 2030. Un projet ambitieux, porteur d’images de modernité. Mais à quoi bon construire des stades flamboyants si les hôpitaux publics s’effondrent ? À quoi bon viser l’investissement étranger si les jeunes fuient leur propre pays ? Le problème n’est pas le développement. C’est sa répartition. Et dans un pays où le roi concentre à la fois le pouvoir politique, religieux et économique, c’est au sommet de l’État que les regards se tournent désormais.
La mobilisation de GenZ 212 n’est pas révolutionnaire. Elle est profondément réformiste. Elle ne conteste pas la monarchie, mais lui demande d’agir. De répondre à son devoir moral. Et de prouver que le Maroc n’est pas une vitrine pour investisseurs, mais une nation pour tous ses enfants. Ce vendredi, Mohammed VI parlera au peuple. Sera-t-il capable d’entendre la colère sous-jacente ? Sera-t-il à la hauteur du moment ? Tout le pays attend. Une génération entière espère.