
« Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? » Ce slogan du mouvement GenZ 212, qui mobilise plus de 150.000 jeunes sur Discord depuis septembre 2025, cristallise la colère d’une génération face à l’effondrement du système de santé marocain. Après la mort de huit femmes enceintes à l’hôpital d’Agadir, les manifestations ont éclaté, révélant des années de corruption systémique, une grève estudiantine de 11 mois en médecine, et l’exode de 600 à 700 médecins par an. Au-delà de la révolte spontanée, GenZ 212 met en lumière les défaillances structurelles d’un secteur vital abandonné au profit de projets de prestige comme la Coupe du monde 2030.
La GenZ 212 : le cri de colère d’une génération sacrifiée
Le 27 septembre 2025, des milliers de jeunes Marocains descendent dans les rues de Rabat, Casablanca, Marrakech et Agadir. Organisés via Discord sous la bannière « GenZ 212 » – référence à l’indicatif téléphonique international du Maroc – ils expriment une rage longtemps contenue. Le détonateur : la mort de huit femmes enceintes lors de césariennes de routine à l’hôpital public d’Agadir, symbole tragique d’un système de santé en décomposition. Depuis, les manifestations ne faiblissent pas et la Génération Z maintient la pression sur Mohammed VI.
« Nous demandons la dissolution du gouvernement actuel pour son échec à protéger les droits constitutionnels des Marocains« , proclame le collectif dans une lettre adressée au roi Mohammed VI. Leurs revendications vont droit au but : amélioration du système de santé public, réformes éducatives, création d’emplois pour les jeunes, et surtout, lutte contre la corruption institutionnelle.
Ce mouvement, né sur les plateformes numériques et porté par une génération hyperconnectée, incarne une nouvelle forme de contestation. Sans leaders identifiés ni affiliation politique, GenZ 212 échappe aux canaux traditionnels de médiation et complique la tâche des autorités. Leur colère est d’autant plus légitime que le taux de chômage atteint 36,7% chez les 15-24 ans, tandis que le gouvernement investit des milliards dans les infrastructures sportives pour la CAN 2025 et le Mondial 2030.
Un système de santé gangrené par la corruption, des scandales qui se répètent inlassablement
L’affaire de l’hôpital Ibn Baja de Taza, révélée en novembre 2023, illustre parfaitement pourquoi GenZ 212 réclame une « lutte contre la corruption« . Douze personnes, dont le directeur de l’hôpital, ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 4 ans de prison ferme pour détournement de matériel médical. Les équipements volés – appareils de dialyse, respirateurs artificiels, scanners, et même des lits d’hôpitaux – étaient revendus à des cliniques privées après falsification de documents administratifs.
Cette pratique qui prive les patients les plus vulnérables de soins essentiels, explique en partie pourquoi les jeunes du mouvement GenZ 212 exigent « l’ouverture de poursuites judiciaires à l’encontre des responsables corrompus » et la « dissolution des partis politiques impliqués dans la corruption« .
En 2022, une vaste opération anticorruption avait déjà secoué le ministère de la Santé. Dix-huit fonctionnaires ont été poursuivis pour fraude dans la passation de marchés publics, pots-de-vin et fourniture de matériel médical usagé. Ces révélations successives nourrissent le sentiment d’injustice exprimé par GenZ 212.
Les témoignages de terrain sont accablants. Dans certains hôpitaux publics, les patients doivent payer eux-mêmes le matériel pour leur opération. Les images de sanitaires bouchés, de moisissures sur les murs et de draps souillés, largement partagées sur les réseaux sociaux et notamment sur le Discord de GenZ 212, ont catalysé l’indignation générale.
La crise historique des étudiants en médecine : prélude au soulèvement
La mobilisation de GenZ 212 survient après une année marquée par la plus longue grève estudiantine de l’histoire du Maroc. Débutée le 16 décembre 2023 et terminée en novembre 2024, cette grève de 11 mois des étudiants en médecine, médecine dentaire et pharmacie a révélé les fractures profondes du système.
Au cœur du conflit : la réforme gouvernementale visant à réduire la durée des études médicales de 7 à 6 ans. Les étudiants, soutenus par de nombreux professeurs, dénonçaient une dégradation de la qualité de formation. Cette crise a créé un précédent de contestation massive que GenZ 212 prolonge aujourd’hui avec des revendications plus larges.
L’accord signé le 7 novembre 2024 n’a été qu’un compromis fragile qui n’a pas restauré la confiance. Les témoignages d’étudiants affichant leur volonté de quitter le pays se sont multipliés, préfigurant la colère actuelle. Cette défiance envers les institutions, partagée par les manifestants de GenZ 212 et les futurs médecins, témoigne d’une fracture générationnelle profonde.
L’exode massif : symptôme d’un mal profond avec des chiffres qui donnent le vertige
Les statistiques justifient pleinement les inquiétudes de GenZ 212 concernant l’avenir du système de santé. Entre 600 et 700 médecins quittent chaque année le Maroc. Plus alarmant : 71,1% des étudiants en dernière année de médecine envisagent l’expatriation.
Cette hémorragie des compétences médicales aggrave une pénurie déjà critique. Avec seulement un médecin pour 1.156 habitants en 2024, le Maroc s’éloigne des standards de l’OMS. Comment GenZ 212 pourrait-elle accepter que le gouvernement investisse des milliards dans des stades quand les hôpitaux manquent cruellement de personnel ?
Les motivations de cet exode font écho aux revendications de GenZ 212 : 97% des futurs médecins citent l’insatisfaction salariale, 99% les mauvaises conditions de travail. Un généraliste gagne 700 euros en début de carrière dans le public – cinq à dux fois moins qu’en Europe.
Cette fuite des cerveaux n’est pas seulement internationale. Plus de 80% des médecins en formation refusent d’intégrer le secteur public. Cette désaffection massive creuse les inégalités territoriales que dénonce GenZ 212, entre zones urbaines privilégiées et régions rurales abandonnées.
Des réformes cosmétiques face à l’urgence absolue
Face à la pression de GenZ 212, le gouvernement met en avant ses efforts : plus de 30 milliards de dirhams alloués à la santé en 2024, soit une hausse de 19%. Mais ces chiffres ne trompent personne. La Cour des comptes a révélé un déficit de 47.000 médecins en 2023.
Le Premier ministre Aziz Akhannouch affirme être « prêt au dialogue » avec les manifestants. Mais GenZ 212 ne se contente plus de promesses. Dans leur communiqué du 3 octobre, ils exigent « la dissolution du gouvernement actuel pour son échec à protéger les droits constitutionnels des Marocains« .
Le contraste est saisissant : tandis que la construction du Grand Stade de Casablanca coûtera 470 millions d’euros et la rénovation de six stades 900 millions d’euros pour le Mondial 2030, les hôpitaux publics manquent de coton et de médicaments de base. Cette disparité alimente directement la colère de GenZ 212, dont le slogan « Nous voulons des hôpitaux, pas seulement des stades » résonne dans tout le pays.
GenZ 212 : catalyseur d’un changement inévitable ?
Le mouvement GenZ 212 est l’expression d’une génération née entre 1997 et 2012, qui a grandi avec Internet et refuse les compromis de ses aînés. Leur organisation décentralisée via Discord, sans leaders identifiés, marque une rupture avec les formes traditionnelles de contestation au Maroc.
Cette mobilisation s’inscrit dans une vague mondiale de protestations menées par la GenZ – du Bangladesh au Népal, du Sri Lanka à Madagascar. Le drapeau pirate de Luffy, héros du manga One Piece, est devenu leur symbole universel de rébellion contre des systèmes jugés obsolètes.
Les revendications de GenZ 212 s’articulent avec une critique globale d’un modèle de développement qui privilégie le prestige international au détriment des besoins fondamentaux. Au-delà des manifestations, GenZ 212 pose les bonnes questions : comment un pays peut-il prétendre organiser une Coupe du monde quand ses citoyens meurent faute de soins adéquats ? Comment attirer des investisseurs quand les jeunes diplômés fuient massivement le pays ?
Les experts s’accordent : sans réformes structurelles profondes – amélioration drastique des conditions de travail, revalorisation salariale substantielle, lutte implacable contre la corruption – le système de santé marocain, mais plus globalement la société marocaine, court à la catastrophe. GenZ 212 n’est que le symptôme visible d’une crise qui couve depuis des décennies.
Conclusion : GenZ 212, révélateur d’une crise systémique
Le mouvement GenZ 212 est le cri d’alarme d’une génération qui refuse d’hériter d’un pays en ruine malgré une augmentation continue du nombre de millionnaires. Les huit femmes mortes à Agadir ne sont que la partie émergée d’un iceberg de dysfonctionnements et de corruption.
« Liberté, Dignité, Justice » – le slogan de GenZ 212 résonne comme un ultimatum. Cette génération hyperconnectée, informée et déterminée ne se contentera plus de promesses vides. Elle exige des actes concrets, une transparence totale et une refonte complète des priorités nationales.