Les voix de la Gen Z : parallèles entre les mobilisations au Maroc et à Madagascar


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Generation Z One Piece
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De Casablanca à Antananarivo, une même génération se soulève. Armés de smartphones et nourris aux réseaux sociaux, les jeunes Marocains et Malgaches réinventent les codes de la contestation politique. Entre chômage endémique, corruption systémique et soif de dignité, ces mobilisations transnationales dessinent les contours d’une Afrique en ébullition où la Gen Z refuse la fatalité et exige sa place dans la construction de l’avenir.

La génération Z, née entre 1997 et 2012, redéfinit les contours de l’engagement politique et social à travers le monde. Au Maroc comme à Madagascar, cette jeunesse hyperconnectée transforme les réseaux sociaux en espaces de mobilisation et invente de nouvelles formes de contestation qui dépassent les cadres traditionnels. Ces mouvements, bien que géographiquement éloignés, partagent des caractéristiques frappantes qui révèlent les aspirations communes d’une génération mondialisée.

Le contexte socio-économique : terreau fertile des mobilisations

Le Maroc présente un paradoxe saisissant. D’un côté, le pays affiche une modernisation apparente avec ses infrastructures développées et son ouverture économique. De l’autre, près de 30% des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage, créant un décalage entre les aspirations d’une jeunesse éduquée et les opportunités réelles. Cette situation génère une frustration latente qui s’exprime régulièrement depuis le mouvement du 20 février 2011, avec des résurgences périodiques portées par la nouvelle génération.

Madagascar fait face à une situation économique encore plus critique, avec près de 75% de la population vivant sous le seuil de pauvreté. La jeunesse malgache, représentant plus de 60% de la population, se retrouve confrontée à un système éducatif défaillant et à des perspectives d’emploi quasi inexistantes. Cette précarité structurelle, combinée à une corruption endémique et à des crises politiques récurrentes, crée un cocktail explosif que la Gen Z malgache n’hésite plus à dénoncer.

Les catalyseurs numériques : réseaux sociaux comme nouveaux espaces publics

Les jeunes Marocains et Malgaches ont transformé TikTok, Facebook, Twitter et Instagram en véritables agoras numériques. Au Maroc, les hashtags en darija (dialecte marocain) côtoient ceux en français et en anglais, créant une mobilisation multilingue qui touche différentes strates de la société. Les vidéos satiriques, les mèmes politiques et les témoignages directs contournent la censure médiatique traditionnelle.

À Madagascar, malgré une connectivité internet limitée (environ 15% de la population), les jeunes urbains maximisent leur présence en ligne. Les cybercafés deviennent des centres névralgiques de mobilisation, et le partage de connexion mobile permet une diffusion virale des contenus contestataires. La créativité s’exprime à travers des vidéos en malgache sous-titrées en français, touchant ainsi la diaspora et attirant l’attention internationale.

Les deux pays ont vu émerger des influenceurs activistes qui utilisent leur popularité pour porter des messages politiques. Au Maroc, des youtubeurs et des rappeurs deviennent les porte-voix d’une génération, transformant leurs plateformes en tribunes politiques. Même des footballeurs soutiennent le mouvement populaire. À Madagascar, des jeunes créateurs de contenu documentent les réalités sociales crues, créant une contre-narration aux discours officiels.

Les revendications communes : justice sociale et dignité

L’emploi et l’éducation au cœur des préoccupations : Dans les deux pays, l’accès à un emploi décent et à une éducation de qualité constituent les revendications principales. Les jeunes Marocains dénoncent le système de « piston » (népotisme) qui verrouille l’accès aux opportunités, tandis que les Malgaches pointent du doigt la déliquescence du système éducatif public et l’absence de passerelles vers l’emploi.

La corruption, perçue comme un cancer rongeant les deux sociétés, mobilise particulièrement la Gen Z. Au Maroc, les scandales impliquant des élites économiques et politiques sont systématiquement dénoncés sur les réseaux sociaux. À Madagascar, les jeunes documentent et partagent les cas de corruption quotidienne, du policier corrompu au fonctionnaire véreux, créant une base de données citoyenne informelle.

La Gen Z revendique également plus de libertés individuelles. Au Maroc, cela se traduit par des demandes de liberté d’expression, de liberté de conscience et d’égalité des genres. À Madagascar, les jeunes réclament une démocratie réelle, dénonçant les manipulations électorales et l’instrumentalisation ethnique de la politique.

Les modes d’action : entre innovation et tradition

Les manifestations 2.0. Les deux pays ont vu émerger des formes hybrides de mobilisation. Les manifestations physiques sont précédées et accompagnées de campagnes digitales massives. Au Maroc, les rassemblements flash mob organisés via les réseaux sociaux déjouent la surveillance policière. À Madagascar, les « marches silencieuses » filmées et diffusées en direct créent des images puissantes qui contrastent avec la violence institutionnelle.

La créativité artistique devient un vecteur privilégié de contestation. Le rap marocain, avec des artistes engagés, porte les frustrations de la jeunesse. À Madagascar, le slam et la poésie urbaine en malgache réinventent la tradition orale pour véhiculer des messages politiques. Les graffitis, les performances de rue et les installations artistiques éphémères transforment l’espace public en galerie contestataire.

Les deux pays ont expérimenté des formes de boycott économique ciblé. Au Maroc, le boycott de 2018 contre certaines grandes marques a démontré le pouvoir économique de la mobilisation citoyenne. À Madagascar, des appels au boycott de produits liés à des personnalités politiques corrompues circulent régulièrement sur les réseaux sociaux.

Maroc : entre répression soft et cooptation, Madagascar : violence et impunité

Le Maroc pratique une forme de répression plus sophistiquée, alternant entre tolérance apparente et répression ciblée. Les autorités tentent de coopter les leaders de mouvements en leur offrant des positions ou des avantages, créant des divisions internes. La surveillance numérique sophistiquée et les poursuites judiciaires sélectives maintiennent une pression constante sur les activistes.

À Madagascar, la répression peut être plus brutale et directe. Les forces de l’ordre n’hésitent pas à utiliser la force létale, comme lors des manifestations de 2018 et 2020. L’impunité dont jouissent les forces de sécurité crée un climat de peur qui limite parfois l’ampleur des mobilisations.

Les solidarités transnationales : vers une conscience générationnelle globale

Les diasporas marocaine et malgache jouent un rôle crucial dans l’amplification des mouvements. Depuis l’Europe, l’Amérique du Nord ou d’autres pays africains, les jeunes de la diaspora relaient les informations, organisent des manifestations de soutien et exercent une pression diplomatique sur les gouvernements hôtes.

Les mouvements s’inspirent mutuellement. Les jeunes Malgaches observent les tactiques marocaines, tandis que les Marocains s’inspirent de la résilience malgache face à la répression. Les échanges sur les réseaux sociaux créent un apprentissage collectif des techniques de mobilisation et de résistance.

Au-delà des revendications politiques immédiates, ces mouvements génèrent des transformations culturelles profondes. La remise en question de l’autorité traditionnelle, la valorisation de l’horizontalité dans l’organisation et la primauté donnée à l’authenticité sur les conventions sociales redéfinissent les codes sociaux.

Évolution du paysage politique

Les partis politiques traditionnels sont contraints de s’adapter. Au Maroc, certains partis tentent de rajeunir leurs rangs et d’adopter un discours plus proche des préoccupations de la Gen Z. À Madagascar, de nouvelles formations politiques émergent, portées par de jeunes leaders issus des mouvements sociaux.

Trois scénarios principaux se dessinent pour ces mouvements. Le premier, optimiste, verrait une transformation progressive des systèmes politiques pour intégrer les demandes de la jeunesse. Le second, pessimiste, anticiperait une répression accrue et un essoufflement des mobilisations. Le troisième, plus probable, suggère une évolution par cycles, avec des avancées partielles entrecoupées de reculs et de nouvelles mobilisations.

Le succès de ces mouvements dépendra de plusieurs facteurs : leur capacité à maintenir l’unité malgré la diversité des revendications, leur aptitude à proposer des alternatives concrètes et réalisables, et leur habileté à construire des alliances intergénérationnelles sans perdre leur spécificité.

Les mouvements de la Gen Z au Maroc et à Madagascar illustrent l’émergence d’une conscience générationnelle qui transcende les frontières. Ces jeunes, nés dans un monde globalisé et connecté, refusent la fatalité de systèmes politiques et économiques qui ne leur offrent aucune perspective. Leur créativité, leur maîtrise des outils numériques et leur courage face à la répression dessinent les contours d’un changement social profond.

L’histoire dira si ces mouvements parviendront à transformer durablement leurs sociétés. Mais d’ores et déjà, ils ont réussi à briser le mur du silence et de la résignation, prouvant que le changement, même dans les contextes les plus difficiles, reste possible quand une génération décide de prendre son destin en main.

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