Madagascar en ébullition : la génération Z défie le pouvoir de Rajoelina


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Generation Z Madagascar One Piece
Generation Z Madagascar One Piece

Depuis le 25 septembre 2025, Madagascar traverse l’une de ses crises politiques les plus graves depuis l’arrivée au pouvoir d’Andry Rajoelina. Inspirée par les récents mouvements de contestation au Népal, la génération Z malgache a pris les rues d’Antananarivo pour dénoncer les délestages chroniques d’eau et d’électricité. Une mobilisation qui a contraint le président à dissoudre son gouvernement le 29 septembre, sans pour autant apaiser la colère populaire.

Quand les délestages embrasent la Grande Île

Tout a commencé par un hashtag sur les réseaux sociaux et un symbole emprunté à la culture populaire : le drapeau des pirates du manga One Piece, malgachisé pour l’occasion. La génération Z, ces jeunes nés entre 1997 et 2012, a réussi là où l’opposition politique traditionnelle a échoué pendant des années : mobiliser une masse critique de citoyens autour d’une revendication concrète et immédiate.

Les coupures d’eau et d’électricité touchent jusqu’à 80 % des foyers urbains de la capitale, plongeant familles et entreprises dans un quotidien insoutenable. La Jirama, société nationale d’eau et d’électricité, est devenue le symbole d’une gestion publique défaillante, marquée par des décennies de sous-investissement et des accusations récurrentes de corruption.

Le 25 septembre, des milliers de manifestants ont bravé l’interdiction du préfet de police, le général Angelo Ravelonarivo, pour converger vers le centre d’Antananarivo. Une décision du tribunal administratif donnera d’ailleurs tort par la suite au préfet concernant cette interdiction. Mais la journée historique a rapidement basculé dans la violence, opposant forces de l’ordre et manifestants dans des affrontements qui ont fait plusieurs blessés et au moins six morts à travers le pays.

La dérive des pillages : manipulation ou chaos spontané ?

Ce qui devait être une manifestation pacifique s’est transformé en scènes de chaos urbain. Des habitations de fidèles du régime ont été incendiées, des dizaines de commerces pillés, des barricades dressées et des véhicules brûlés. Les villes d’Antsirabe, Mahajanga, Antsiranana, Toamasina et Toliara ont également connu des épisodes similaires.

La question qui hante l’opinion publique malgache reste entière : ces dérapages étaient-ils spontanés ou orchestrés ? De nombreux observateurs pointent du doigt une stratégie délibérée visant à discréditer le mouvement légitime de la génération Z. Le comportement des forces de l’ordre a interrogé : féroces contre les manifestants pacifiques, mais étrangement permissives face aux pillards.

Cette tactique n’est pas nouvelle à Madagascar. Depuis l’ère Ratsiraka et les sinistres opérations anti-Karana des années 1980, jusqu’au lundi noir de 2009, l’instrumentalisation de casseurs pour salir les mouvements populaires fait partie du répertoire politique malgache. Le mode opératoire reste similaire : de petits groupes organisés forcent les devantures de commerces ciblés, puis invitent les populations démunies à se servir massivement.

Le lien entre le régime Rajoelina et certains groupes prêts aux coups de force n’est pas inconnu. Dès 2009, lors de son ascension au pouvoir, des militants issus des quartiers populaires et du milieu du rugby avaient joué un rôle déterminant dans les événements violents qui ont marqué cette période. En 2023, ces mêmes forces avaient refait surface pour intimider les manifestations de l’opposition.

Une dissolution gouvernementale insuffisante

Face à la pression de la rue, Andry Rajoelina a annoncé le 29 septembre la dissolution du gouvernement et le limogeage du Premier ministre Christian Ntsay. Cette décision intervient au lendemain du renvoi du ministre de l’Énergie et des Hydrocarbures, Olivier Jean Baptiste, désigné comme bouc émissaire de la crise électrique.

Dans son allocution de vingt minutes diffusée sur les chaînes publiques, le président a évoqué un « esprit de concertation nationale » et promis des mesures de soutien aux entreprises victimes des pillages. Il a également annoncé la création d’une cellule spéciale anti-pillage et salué les avancées promises de la Jirama, avec l’ouverture prochaine de nouvelles centrales électriques.

Mais ce discours présidentiel a esquivé l’essentiel. Aucune excuse publique n’a été présentée, aucune reconnaissance de responsabilité dans la détérioration des infrastructures. Pour la génération Z et une large partie de la population, il s’agit d’une « diversion » qui ne règle rien sur le fond.

Les revendications initiales restent sur la table : excuses publiques du président et de l’ancien Premier ministre, limogeage du préfet de la capitale accusé de répression excessive, et surtout, des solutions concrètes et immédiates aux délestages qui paralysent le pays.

Une jeunesse face au dilemme de la récupération politique

La génération Z malgache se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Sa force réside dans son indépendance vis-à-vis des partis politiques traditionnels et dans sa maîtrise des réseaux sociaux pour mobiliser et communiquer. Mais ces atouts sont aussi ses faiblesses.

Le mouvement, spontané et sans hiérarchie formelle, manque de vision stratégique à long terme et d’expérience politique. Cette nature même l’expose à deux dangers : la récupération par l’opposition traditionnelle, qui voit dans cette mobilisation une opportunité de renverser le régime, et l’infiltration par des éléments déstabilisateurs.

Les objectifs divergent fondamentalement. La génération Z réclame la fin des délestages et une meilleure gouvernance publique. L’opposition politique, elle, vise la chute du régime Rajoelina. Toute alliance risque de dénaturer le mouvement initial et de lui faire perdre sa crédibilité auprès de la population.

Face à l’offre présidentielle de dialogue, les organisateurs du mouvement devront faire preuve de discernement. L’histoire politique malgache regorge d’exemples de leaders contestataires cooptés par le pouvoir en place, neutralisant ainsi les dynamiques de changement.

Un régime fragilisé par sept ans d’arrogance

L’embrasement actuel n’est que l’aboutissement de frustrations accumulées depuis des années. Le régime Rajoelina est accusé de fraudes électorales répétées, de gaspillage des deniers publics dans des projets de prestige, d’impunité totale face à la corruption, et d’un mépris affiché envers toute forme de critique.

La réponse systématique du pouvoir face aux contestations a été le déni et la répression. Les réseaux sociaux ont été qualifiés de repaire de « 6 % d’imbéciles », toute critique assimilée à une tentative de déstabilisation, et la société civile amalgamée à l’opposition politique.

Cette arrogance a progressivement érodé la confiance dans les institutions démocratiques. Le système judiciaire, instrumentalisé contre opposants et lanceurs d’alerte, a perdu sa crédibilité. Les forces de l’ordre, incarnées par des figures comme le général Richard Ravalomanana dont les comportements ont choqué l’opinion, n’inspirent plus le respect mais la défiance.

Dans ce contexte de déliquescence institutionnelle, une partie croissante de la population en vient à considérer la violence, voire un nouveau coup d’État, comme la seule issue possible. Un scénario que personne ne souhaite, mais que l’entêtement du pouvoir rend chaque jour plus plausible.

Madagascar au bord du gouffre politique

L’espace pour une sortie de crise pacifique se rétrécit. Si les autorités persistent dans la répression et le mépris, si elles continuent d’instrumentaliser des casseurs pour discréditer les revendications légitimes, Madagascar risque de basculer dans une spirale de violence incontrôlable.

La génération Z a montré qu’une autre voie était possible : celle de la mobilisation citoyenne, pacifique et déterminée. Il appartient désormais au pouvoir de saisir cette dernière opportunité de dialogue ou de rejoindre, comme le formulent certains observateurs, « les dinosaures » dans les poubelles de l’histoire politique malgache.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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