
Face à l’exode des blouses blanches et aux défis persistants de l’après-Covid, les trois pays du Maghreb, Algérie, Tunisie et Maroc, adoptent des stratégies divergentes pour valoriser leur personnel médical. Entre cérémonies officielles, réformes structurelles et promesses en suspens, analyse comparative des politiques de reconnaissance médicale qui façonnent l’avenir des systèmes de santé nord-africains.
Algérie : une reconnaissance officielle le 6 mai 2025
Le 6 mai 2025, le ministre algérien de la Santé, Abdelhak Saihi, a distingué à Alger les membres du Comité scientifique de suivi de la pandémie de COVID-19, saluant « leurs sacrifices et leur rigueur scientifique ». Le message, relayé au nom du président Abdelmadjid Tebboune, fait de ces médecins un maillon stratégique de la gouvernance sanitaire, chargé de rester mobilisé pour toute urgence future.
Au-delà du symbole, cette cérémonie prolonge un arsenal d’incitations (primes COVID dès 2020, enveloppe dédiée à la recherche médicale, plan de fidélisation des spécialistes) destiné à retenir les talents et bâtir une médecine d’excellence.
Tunisie : des gestes forts masquant une crise sociale
La Tunisie avait frappé les esprits en pleine pandémie : depuis le 27 mars 2020, un billet de 10 dinars porte l’effigie de la Dre Tawhida Ben Cheikh, pionnière de la médecine maghrébine – un hommage inédit au personnel soignant.
Mais cinq ans plus tard, le malaise grandit : l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM) a déclenché, les 2 et 3 mai 2025, grèves et manifestations pour dénoncer des rémunérations « insoutenables » et l’absence de dialogue social. Bien que le budget 2025 prévoie des recrutements et une hausse de crédits, la confiance se fissure ; faute d’un plan de carrière clair et d’équipements modernisés, l’exode des jeunes praticiens menace encore.
Maroc : manque de reconnaissance et fuite des blouses blanches
Contrairement à ses voisins, Rabat n’a toujours pas organisé d’hommage national aux médecins mobilisés pendant la pandémie. Le malaise transparaît dans les campus : depuis septembre 2024, les étudiants en médecine manifestent contre la réduction de leurs années de formation et l’absence de perspectives professionnelles solides.
Cette frustration alimente l’exode : quelque 700 médecins marocains quittent chaque année le pays, attirés notamment par le Canada, où les salaires peuvent être jusqu’à cinq fois supérieurs. Avec près de 14 000 praticiens déjà installés à l’étranger, le royaume accuse un déficit criant de personnel hospitalier.
Trois trajectoires, un même défi
L’analyse comparative des trois pays révèle des approches distinctes :
- L’Algérie se démarque aujourd’hui par une approche proactive : reconnaissance publique, financements ciblés et maintien d’une instance scientifique permanente renforcent la confiance du corps médical.
- La Tunisie démontre qu’une politique d’inclusion symbolique doit vite s’accompagner de réformes structurelles,
- Tandis que le Maroc illustre le coût d’un déficit de reconnaissance : l’hémorragie de talents fragilise son système de santé.
Reconnaître, former et retenir les soignants reste la clé d’une médecine résiliente au Maghreb. Pour l’heure, l’Algérie prend de l’avance — sans que ses voisins soient condamnés à rester à la traîne, pour peu qu’ils transforment leurs promesses en actes concrets.