La France peut-elle se passer des médecins étrangers ?


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Médecins étrangers en France

Depuis quelque temps, la question du manque de médecins dans certaines régions – les « déserts médicaux » – se pose en France. Pour y remédier, l’actuel Premier Ministre, Monsieur Bayrou, propose l’affectation obligatoire des jeunes médecins dans certaines régions et si cela ne peut se faire, le « détachement temporaire» de médecins exerçant dans une autre région sur la base de deux jours maximum par mois, soit un mois par an.

Si la France manque de médecins, la situation n’est pas nouvelle. Ainsi, le rapport d’information (1) en date de 2013 de la commission présidée par Messieurs les Sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny mettait clairement en évidence cette situation et formulait plusieurs propositions afin d’y remédier. Situation qui ne devrait pas s’améliorer dans les années à venir, comme le montre l’étude (2) conduite par la DREES (3) « la
diminution des effectifs projetés de médecins se cumulant à l’augmentation et au vieillissement de la population, la densité standardisée baisserait de façon plus prononcée et ne retrouverait son niveau de 2021 qu’en 2035. La baisse la plus marquée concerne les médecins généralistes ».

Si les solutions à ce problème sont multiples, nombre d’entre elles ne trouvent leur efficacité que dans un terme plus ou moins éloigné. C’est pourquoi le recours à des médecins étrangers s’est avéré être une solution rapide – et parfois peu coûteuse – depuis plusieurs années. À noter que l’atlas de la démographie médicale en France (4) fait une distinction non pas sur la nationalité des praticiens mais sur l’origine d’obtention du diplôme. Au 1er janvier 2025 le tableau de l’Ordre enregistrait 241.255 médecins en activité, chiffre en progression (+12,1%) par rapport à 2010 où le nombre d’inscrits s’élevait à 215.663. Toutefois, durant la même période, la population française était passée de 64,6 millions d’habitants à 68,6 millions (+6,2%).

Autres faits caractéristiques : tout d’abord, la légère baisse de l’âge moyen des praticiens en activité (50,4 ans en 2010 ; 50,1 ans en 2025) due à l’accroissement du nombre de praticiens de moins de 40 ans ; ensuite, l’augmentation du nombre de spécialistes (45,4 % du total des médecins en activité en 2025 contre 40,8 % en 2010) et de chirurgiens (12,3 % en 2025 ; 11,2 % en 2010) avec pour contrepartie la baisse du nombre de généralistes (42,3 % en 2025 ; 48 % en 2010).

Durant cette même période, le nombre de médecins en activité régulière ayant obtenu leur diplôme à l’étranger est passé de 14.271 à 29.452. Dans 41 % des cas (5) celui-ci a été obtenu dans un pays de l’Union européenne et dans 59 % hors UE (voir tableau ci-dessous). Rapporté au nombre de médecins en activité régulière, le nombre total de médecins diplômés hors UE était de l’ordre de 17.400 début 2025 variant de 200 médecins pour celles et ceux ayant obtenu leur diplôme en Côte d’Ivoire (6) à 6.300 pour celles et ceux l’ayant obtenu en Algérie.

Origine des médecins en France avec un diplome obtenus en dehos de l'UE au 1er janvier 2025
Origine des médecins en France avec un diplome obtenus en dehos de l’UE au 1er janvier 2025

Ces 29.453 praticiens représentent 14,6 % du total des praticiens en activité régulière avec des différences importantes, comme le relève l’atlas de la démographie médicale en France : « au 1er janvier 2025, les médecins à diplômes étrangers représentent 23,1% des spécialistes chirurgicaux en activité régulière et 18,9% des spécialistes médicaux en activité régulière. Chez les généralistes en activité régulière, la proportion des médecins à diplômes étrangers est de 7,2% au 1er janvier 2025 ».

Leur présence est, donc, indispensable au bon fonctionnement du système de soins français et le restera dans les années à venir. Toutefois, même si cette présence permet de combler les besoins français, elle ne suffit pas à répondre au déficit actuel en médecins généralistes, spécialistes et chirurgiens existant dans certaines régions. Il est également certain que le vieillissement de la population française va entraîner un accroissement de consultations et actes médicaux. Dès lors, il faut se demander si les mesures déjà prises, comme l’augmentation du numerus clausus, va permettre de faire face à la situation à venir ou bien s’il sera nécessaire de se reposer sur l’arrivée de nouveaux praticiens diplômés hors de l’UE. De même, rien ne garantit que les étudiants d’origine étrangère poursuivant des études de médecine (7) en France y resteront au terme de celles-ci.

Dans tous les cas, rien n’est d’autant moins certain que trois facteurs affectent cette situation. D’un côté, l’existence d’une rémunération base pour cette catégorie de diplômés et ce bien que leur charge de travail soit particulièrement lourde. De l’autre, l’existence d’une concurrence entre pays occidentaux dans le recrutement de médecins étrangers du fait des raisons démographiques similaires à celles de la France.

Enfin, le développement économique des pays d’Afrique qui connaissant souvent une pénurie de médecins et cherchent à les retenir afin de satisfaire aux attentes de leurs populations en matière de santé publique (8).

La réponse à cette question repose maintenant sur la stratégie que compte mener la France tant en termes de migration que de politique de santé publique. En l’état actuel, rien ne semble prédisposer à d’importantes évolutions.

1 Rapport au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale de la Commission des affaires sociales sur les mesures incitatives au développement de l’offre de soins primaires dans les zones sous-dotées. Par MM. Jean-Noël CARDOUX et Yves DAUDIGNY

2 LES DOSSIERS DE LA DREES – N° 89 • décembre 2021. Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale. Dominique Polton, Hélène Chaput, Mickaël Portela (DREES) En collaboration avec Quentin Laffeter et Christelle Millien

3 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques / Institut national de la statistique et des études économiques – INSEE

4 Atlas de la démographie médicale en France / Situation au 1er janvier 2025/ Conseil national de l’Ordre des médecins.

5 Principalement : Roumanie 43,8 % ; Italie 15,3 % ; Belgique 14,3 %. À noter que la raison pour laquelle ces diplômes ont été acquis dans ces pays peut être le fait de Français n’ayant pas été admis dans une université française du fait du numerus clausus.

6 Soit près de 4 % du total des médecins exerçant actuellement en Côte d’Ivoire.

7 Au nombre de 30.000 durant l’année universitaire 2023/2024 d’après le Ministère de l’intérieur / Directiongénérale des étrangers en France.

8 Ainsi, les praticiens originaires du Maroc exerçant en France représentait de l’ordre de 3,5 % du total du nombre de médecins dans ce pays, tandis que celui-ci connaît une pénurie de praticiens.

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LIRE LA BIO
Après avoir passé plusieurs années au Cabinet du Ministre de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire, puis avoir dirigé une importante mutuelle santé en France, Pierre Auffret intervient comme consultant indépendant depuis plusieurs décennies dans le secteur du financement de la santé et de la mise en place et du fonctionnement de l’assurance santé. Il a effectué de nombreuses missions sur le continent africain: Burkina Faso, Cameroun, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Égypte, Gabon, Maroc, Mauritius, Rwanda, São Tomé & Principe, Togo, Tunisie. Il est l’auteur de nombreux articles concernant la santé en Afrique et de deux livres: - «Maroc: la couverture médicale de base, deux décennies de réformes» aux Éditions MA – ESKA - «Gros profits sur la lagune Ebrié» (Thriller) aux Éditions du Net.
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