
Le système de santé marocain traverse une nouvell période de turbulences. Derrière les statistiques officielles et les annonces gouvernementales se cache une réalité complexe où étudiants en médecine, médecins confirmés et personnel infirmier expriment un malaise profond qui menace l’avenir même du secteur.
Le Maroc fait face à un paradoxe saisissant : alors que le pays investit massivement dans l’infrastructure sanitaire avec la construction d’hôpitaux modernes et l’acquisition d’équipements de pointe, les professionnels de santé peinent à exercer dans des conditions dignes. Cette dichotomie révèle les failles d’un système qui privilégie l’aspect matériel au détriment de l’humain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec seulement 7,3 médecins pour 10 000 habitants (contre 31,7 en France, pourtant aussi en manque de praticiens…) selon les dernières données du ministère de la Santé, le Maroc accuse un retard considérable par rapport aux standards internationaux. Cette pénurie s’aggrave dans les zones rurales où les disparités d’accès aux soins creusent davantage les inégalités territoriales.
L’exode des blouses blanches
En cause, l’exode d’une partie des soignants. En effet, l’émigration médicale constitue l’une des manifestations les plus préoccupantes de cette crise, mais un autre phénomène tout aussi alarmant se dessine : le refus massif des médecins d’exercer dans les zones rurales. Selon les derniers chiffres du ministère de la Santé révélés par le quotidien Al Assabah, 74% des médecins affectés dans les zones rurales ou difficiles d’accès refusent de rejoindre leur poste.
Cette situation illustre la crise de confiance entre les professionnels de santé et les autorités. Sur 400 médecins auxquels des postes budgétaires ont été attribués, seuls 104 (26%) ont effectivement rejoint leur lieu d’affectation. Dans un cas encore plus édifiant, sur 100 dossiers retenus lors d’un concours spécifique pour le recrutement en milieu rural, seuls 19 médecins se sont finalement rendus sur leur lieu d’affectation.
Dr. Amina, jeune diplômée de la faculté de médecine de Rabat, témoigne : « Après six années d’études acharnées et deux ans de résidence dans des conditions précaires, on nous propose des postes isolés sans infrastructure, sans moyens et sans perspectives d’évolution. C’est un choix obligé entre accepter l’exil professionnel en zone rurale ou tenter sa chance à l’étranger. »
Face à cette situation, le ministère de la Santé envisage des sanctions disciplinaires et planche sur un projet de loi rendant obligatoire le service civil médical. En attendant, une solution de fortune a été trouvée : réattribuer les postes de médecins non pourvus à des infirmiers d’État, créant de facto une pénurie médicale camouflée par une solution paramedicale.
Les étudiants en médecine : entre passion et désillusion
Les facultés de médecine marocaines forment chaque année environ 2 000 nouveaux médecins. Pourtant, dès les premières années d’études, les étudiants sont confrontés à des réalités décourageantes : amphithéâtres surpeuplés, manque d’encadrement clinique, et stages hospitaliers où ils découvrent les dysfonctionnements du système.
« Nous entrons en médecine avec l’idée noble de soigner et de sauver des vies, mais nous nous retrouvons rapidement confrontés à la réalité d’un système à bout de souffle« , confie Youssef, étudiant à Casablanca. Cette désillusion précoce pousse certains étudiants à envisager très tôt une carrière à l’étranger, privant le pays de talents formés à grands frais.
Comment espérer retenir les talents quand un médecin spécialiste gagne en moyenne 8 000 dirhams dans le public marocain, contre l’équivalent de 40 000 dirhams en France ?
Le personnel infirmier : une crise dans la crise
Si la situation des médecins retient l’attention médiatique, celle du personnel infirmier révèle une crise encore plus profonde et immédiate. Les chiffres récents sont alarmants : avec seulement 448 postes budgétaires ouverts cette année pour l’ensemble du territoire national, les perspectives d’emploi pour ces professionnels s’assombrissent drastiquement.
Cette pénurie de postes contraste brutalement avec les besoins réels du terrain. Le Maroc a besoin de plus de 64 000 infirmiers pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) à l’horizon 2030, mais ne propose que quelques centaines de postes par an. La Coordination nationale des étudiants, diplômés et infirmiers des Instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé tire la sonnette d’alarme à Casablanca, dénonçant cette situation critique qui aggrave une pénurie de personnel déjà criante explique le journal LeMatin.
Avec des salaires dérisoires débutant à 3 000 dirhams mensuels et des conditions de travail souvent déplorables, les infirmiers subissent une triple peine : précarité économique, absence de reconnaissance sociale et quasi-impossibilité d’accéder à un emploi stable dans le secteur public.
Fatima, infirmière depuis quinze ans dans un hôpital provincial, nous résume la situation : « Nous sommes en première ligne face aux patients, nous assumons des responsibilités énormes, mais notre statut social et notre rémunération ne reflètent en rien notre contribution réelle au système de santé. Et maintenant, même les nouveaux diplômés peinent à trouver du travail. »
Des actions qui vont s’intensifier
Face à cette impasse, la Coordination promet d’intensifier ses actions de protestation. Un bras de fer semble se dessiner entre les autorités et ces professionnels en quête de reconnaissance, laissant présager une escalade qui pourrait avoir des conséquences directes sur les patients et le système de santé dans son ensemble.
Les soignants marocains, qu’ils soient étudiants, médecins ou infirmiers, méritent mieux qu’un système qui les épuise et les décourage. Leur engagement et leur dévouement constituent un patrimoine national qu’il serait dramatique de dilapider par manque de vision et de volonté politique.