Marrakech sacre « Promis le Ciel » : Erige Sehiri remporte l’Étoile d’Or


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Affihe du film Promis le ciel
Affihe du film Promis le ciel

La 22e édition du Festival international du film de Marrakech s’est achevée samedi 6 décembre dans une atmosphère d’émotion et de célébration cinématographique. Le jury, présidé par le réalisateur sud-coréen Bong Joon Ho, a décerné la prestigieuse Étoile d’Or à « Promis le Ciel », deuxième long-métrage de fiction de la cinéaste franco-tunisienne Erige Sehiri avec Aïssa Maïga.

Le film couronné à Marrakech raconte l’histoire de Marie, pasteure ivoirienne et ancienne journaliste installée à Tunis, qui accueille sous son toit Naney, jeune mère en quête d’un avenir meilleur, et Jolie, étudiante déterminée portant sur ses épaules les espoirs de sa famille restée au pays. En 93 minutes, Erige Sehiri tisse un récit intimiste sur ces femmes prises dans un entre-deux géographique et existentiel, entre l’Afrique et l’Europe.

La réalisatrice explique avoir voulu explorer toutes les promesses qui jalonnent nos existences : celles des gouvernements à leurs citoyens, d’une mère à son enfant, d’un pasteur à ses fidèles. Le titre cristallise cette réflexion sur les engagements, divins ou profanes, que nous prenons les uns envers les autres.

Le film, déjà remarqué au Festival de Cannes 2025, où il figurait dans la sélection Un Certain Regard, confirme la trajectoire ascendante d’une cinéaste désormais incontournable du paysage cinématographique.

« En Tunisie, on appelle tous les Subsahariens « Africains » en oubliant que nous le sommes aussi », rappelle Erige Sehiri. La réalisatrice explique, « En tant que femme tunisienne, je suis profondément frustrée de constater que nous ne sommes pas capables d’accueillir les migrants avec dignité, alors même que nous venons d’un pays dont la diaspora est si vaste. Nous agissons comme si nous ne vivions pas tous sur le même continent, comme si nous n’étions pas tous Africains. »

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Le parcours singulier d’une enfant des Minguettes

Née en 1982 à Lyon dans une famille d’origine tunisienne, Erige Sehiri a grandi à Vénissieux, dans le quartier des Minguettes. Son père était électricien, sa mère responsable de cuisine dans un collège. La jeune Erige fréquentait assidûment l’unique salle de cinéma du quartier, nourrissant un rêve qui lui semblait alors inaccessible.

Erige Sehiri
Erige Sehiri

Son parcours vers la réalisation emprunte des voies détournées : après le baccalauréat, elle part aux États-Unis avec l’ambition d’intégrer une école de cinéma à Los Angeles. Face aux réalités économiques, elle bifurque vers des études de finance au Canada, travaille plusieurs années dans une banque au Luxembourg, avant de pouvoir enfin financer ses premiers projets documentaires. Elle se forme également au journalisme à Jérusalem, co-fonde le média tunisien indépendant Inkyfada en 2013, et crée le collectif Rawiyat-Sisters in Film pour soutenir les femmes cinéastes du monde arabe.

Son premier long-métrage documentaire, « La Voie normale » (2018), consacré aux cheminots tunisiens, reste six semaines à l’affiche en Tunisie. Puis vient « Sous les figues » (2022), portrait sensible de jeunes ouvrières agricoles, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et sélectionné pour représenter la Tunisie aux Oscars.

Un palmarès célébrant la diversité

En distinguant « Promis le Ciel », le jury de Bong Joon Ho a salué une œuvre qui ose regarder le monde autrement, avec une force poétique et une vision artistique pleinement engagée dans le réel. Le film rafle également le Prix d’interprétation féminine pour l’actrice ivoirienne Debora Lobe Naney, dont la performance a marqué les festivaliers.

Le Prix du Jury a été attribué ex æquo à « My Father and Qaddafi » de Jihan K et « Memory » de Vladlena Sandu, deux films où l’intime rejoint la grande Histoire. Oscar Hudson reçoit le Prix de la Mise en scène pour « Straight Circle », tandis que Ṣọpẹ Dìrísù est récompensé pour son interprétation masculine dans « My Father’s Shadow » d’Akinola Davies Jr. Les frères Elliot et Luke Tittensor obtiennent une mention spéciale pour leur justesse dans « Straight Circle ».

Marrakech, carrefour du cinéma mondial

Cette édition aura rassemblé plus de 47 000 spectateurs, dont 7 000 enfants et adolescents dans le cadre du programme Jeune Public. Les Ateliers de l’Atlas, véritable incubateur des cinémas du continent, ont réuni 350 professionnels autour de 28 projets , dont « Promis le Ciel » lui-même, preuve de l’efficacité de ce dispositif d’accompagnement.

La programmation a présenté 81 films issus de 30 pays, entre compétition officielle, séances de gala, hommages et panorama du cinéma marocain. Les « Conversations » ont accueilli des figures majeures comme Guillermo del Toro, Jodie Foster, Jafar Panahi, Tahar Rahim et Laurence Fishburne, confirmant le rayonnement international du festival.
En couronnant Erige Sehiri, Marrakech célèbre un cinéma qui transcende les frontières, porté par une voix féminine et méditerranéenne qui n’a cessé de tracer son chemin avec obstination et poésie.

Zainab Musa
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Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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