Trois regards, un continent : l’Afrique illumine Un Certain Regard 2025


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Affihe du film Promis le ciel
Affihe du film Promis le ciel

De la Tunisie au Nigeria en passant par l’Égypte, trois cinéastes africains bousculent la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2025 avec des œuvres qui décentrent le regard et placent l’expérience africaine au premier plan, loin des clichés occidentaux.

L’Afrique s’invite cette année au cœur de la sélection officielle de Cannes à travers trois œuvres aux imaginaires complémentaires. « Promis le ciel » de la Franco-Tunisienne Erige Sehiri, « Aisha Can’t Fly Away » de l’Égyptien Morad Mostafa et « My Father’s Shadow » du Nigérian-britannique Akinola Davies Jr. démontrent qu’un même continent peut proposer des récits pluriels — confirmant que la section Un Certain Regard porte décidément bien son nom.

« Promis le ciel » : sororité et migrations intra-africaines

Film d’ouverture de la section, « Promis le ciel » nous plonge dans l’intimité de trois femmes subsahariennes réfugiées à Tunis et d’une fillette rescapée d’un naufrage. Dans la chaleur d’une maison-église improvisée, la cinéaste explore la solidarité féminine face à un climat xénophobe grandissant.

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Ce troisième long métrage confirme l’acuité documentaire de Sehiri tout en déployant une mise en scène organique, nourrie d’improvisations et portée en partie par des acteurs non professionnels, qui efface la frontière entre fiction et réalité. Aissa Maïga est, comme toujours, remarquable dans le film.

Le film renverse la perspective habituelle : « En Tunisie, on appelle tous les Subsahariens « Africains » en oubliant que nous le sommes aussi », rappelle la réalisatrice qui explique, « En tant que femme tunisienne, je suis profondément frustrée de constater que nous ne sommes pas capables d’accueillir les migrants avec dignité, alors même que nous venons d’un pays dont la diaspora est si vaste. Nous agissons comme si nous ne vivions pas tous sur le même continent, comme si nous n’étions pas tous Africains. »

« Aisha Can’t Fly Away » : Le Caire au prisme des diasporas

L’Égypte revient dans Un Certain Regard grâce au premier long métrage de Morad Mostafa, déjà remarqué pour ses courts métrages incisifs sur l’exil. Son héroïne, Aisha, 26 ans, travaille comme garde-malade soudanaise dans le quartier populaire d’Ain Shams, où gangs locaux et migrants africains s’affrontent dans l’indifférence policière. Entre un amour incertain, un chef de gang mafieux et le foyer d’une famille bourgeoise qu’elle sert, Aisha lutte, chancelle et rêve — jusqu’à ce que cauchemar et réalité se confondent.

Mostafa livre un thriller social au souffle quasi néoréaliste, porté par une caméra nerveuse dans des ruelles saturées, un langage hybride mêlant arabe, anglais et peul, et des personnages féminins tenaillés par la survie quotidienne. En focalisant son regard sur les migrations Sud-Sud, le film déconstruit lui aussi les clichés d’un exode uniquement tourné vers l’Europe.

 

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« My Father’s Shadow » : Lagos, 1993, et l’enfance face à l’Histoire

Avec « My Father’s Shadow« , Akinola Davies Jr. signe la toute première fiction nigériane en sélection officielle cannoise — un jalon historique pour Nollywood et ses diasporas. Inspiré de la jeunesse du réalisateur, le récit suit un père séparé de ses deux fils dans le chaos du scrutin annulé de 1993. Tourné en 16 mm dans les rues vibrantes de Lagos, le film entrelace chroniques familiales et fresque politique au rythme d’une seule journée, entre désillusion démocratique et pulsations d’afro-beat.

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Produit par Element Pictures et Fatherland, soutenu par la BBC, le BFI et déjà acquis par MUBI, ce long métrage illustre l’émergence d’une coproduction transatlantique consciente de ses racines. Pour Davies Jr., « filmer Lagos, c’est filmer une mémoire collective que l’on croyait effacée ».

Un trait d’union continental

Qu’il s’agisse de Tunisiens confrontés à l’altérité subsaharienne, de Soudanais pris en étau au Caire ou de Nigérians face aux tourments de leur histoire nationale, ces trois films placent l’expérience africaine au centre, sans médiation occidentale. Ils partagent un motif essentiel : la quête de dignité face à des pouvoirs indifférents — qu’il s’agisse de l’État, de la police, du patriarcat ou des frontières.

Le parcours cannois ne fait que commencer, avec un verdict du jury Un Certain Regard attendu le 24 mai. Mais déjà, la triple présence de « Promis le ciel », « Aisha Can’t Fly Away » et « My Father’s Shadow » dessine une cartographie vivante de l’Afrique contemporaine — où la pluralité des voix répond à la diversité des horizons, et où chaque film devient, à sa manière, un acte de résistance poétique.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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