Maroc : après la rue, la Génération Z passe à l’offensive économique contre Aziz Akhannouch


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Aziz Akhannouch, chef du gouvernement marocain
Aziz Akhannouch; Premier ministre du Maroc

Le collectif GenZ 212, fer de lance d’un mouvement social inédit au Maroc, réoriente son combat. Après les manifestations massives qui ont secoué plusieurs villes du royaume fin septembre, ces jeunes activistes investissent désormais le champ économique. Leur cible : les entreprises et marques liées au chef du gouvernement Aziz Akhannouch. Leur arme : le boycott.

Tout a commencé le 27 septembre 2025, lorsqu’un drame survenu à l’hôpital public d’Agadir a mis le feu aux poudres. Huit femmes enceintes, venues pour des césariennes, sont mortes dans des conditions jugées inacceptables. Ce fait divers tragique a suscité une vague d’indignation dans tout le pays, particulièrement chez les jeunes. En quelques jours, des manifestations ont éclaté à Casablanca, Rabat, Fès, Tanger et d’autres grandes villes. Le bilan est lourd : trois morts, plus de 400 blessés et plusieurs incidents violents signalés. C’est dans ce contexte tendu qu’a émergé GenZ 212, un collectif de jeunes Marocains très actifs sur les réseaux sociaux, qui ont su canaliser la colère populaire en un mouvement structuré et revendicatif.

Boycott pour provoquer un choc économique d’envergure

Mais au-delà des manifestations de rue, GenZ 212 a compris que la véritable pression pouvait s’exercer sur un autre terrain : celui de l’économie. En quelques clics, le collectif a lancé une nouvelle campagne intitulée « Boycott économique pour la justice ». Publiée sur Instagram, TikTok et X (anciennement Twitter), une affiche virale appelle à boycotter toutes les entreprises associées à Aziz Akhannouch. Le visuel recense notamment Afriquia Gaz, Akwa Group, Oasis Café, Mini Brahim, Aspen, Oxygen, Yan&One, Aksal Group, Fairmont Hotel, Aujourd’hui Le Maroc et La Vie Éco. À la fin de la publication, un message sans équivoque : « Voici quelques-unes des sociétés et des investissements d’Akhannouch. Boycottez-les et voyons le résultat ».

Cette stratégie n’est pas sans rappeler la campagne de 2018, qui avait visé Afriquia, Centrale Danone et Sidi Ali. À l’époque, le boycott avait provoqué une crise économique d’envergure, une chute des ventes et des pertes colossales pour les entreprises visées. La pression populaire avait été si forte qu’elle avait déstabilisé le gouvernement. Aujourd’hui, GenZ 212 espère reproduire cet impact, mais avec une organisation plus affinée et un écho encore plus large grâce aux réseaux sociaux, devenus en sept ans l’arène principale de la contestation chez les jeunes.

Cumul de fonctions entre pouvoir politique et intérêts économiques

Aziz Akhannouch, à la fois chef du gouvernement et homme d’affaires puissant, cristallise de nombreuses critiques. À la tête du groupe Akwa, il est présent dans des secteurs stratégiques tels que le carburant, la grande distribution, la cosmétique, les médias et l’hôtellerie. Pour une partie de la population, ce cumul de fonctions entre pouvoir politique et intérêts économiques soulève des interrogations éthiques et démocratiques. La hausse continue du coût de la vie, la faiblesse des services publics, notamment dans la santé et l’éducation, et le chômage élevé chez les jeunes ne font qu’accentuer cette défiance.

Le boycott prend donc tout son sens dans cette configuration. Pour GenZ 212, il ne s’agit plus simplement de dénoncer verbalement les injustices, mais d’agir concrètement. En appelant les citoyens à cesser d’acheter les produits et services des entreprises visées, le collectif espère provoquer un choc économique qui pourrait, à terme, peser sur les décisions politiques. Le slogan « justice économique » devient ainsi un mot d’ordre mobilisateur, dépassant le cadre strict de la protestation sociale.

Maintenir la pression sur le long terme

La nouveauté de ce mouvement réside dans son mode d’action. GenZ 212 ne se contente pas de slogans ou de rassemblements spontanés. Le collectif publie régulièrement des contenus visuels soignés, des vidéos explicatives, et anime ses communautés en ligne avec une redoutable efficacité. Les hashtags #BoycottAkhannouch, #JusticePourLes8 ou #GenZ212 font des milliers d’interactions, permettant à la mobilisation de toucher même les Marocains de la diaspora.

Il reste toutefois à évaluer l’impact réel de cette campagne. Certaines enseignes comme Yan&One ou Oasis Café auraient déjà constaté une baisse de fréquentation, selon des témoignages en ligne. Les commentaires sur les pages officielles des marques ciblées se multiplient, majoritairement critiques. Les médias marocains commencent à relayer l’affaire, bien que certains soient eux-mêmes liés à des intérêts économiques proches du pouvoir. Tout l’enjeu, pour GenZ 212, sera de maintenir la pression sur le long terme, dans un contexte où les mouvements de boycott ont souvent tendance à s’essouffler.

Levier de transformation politique inédit

Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas réagi officiellement à cette nouvelle phase de la contestation. Mais le silence pourrait être un aveu d’inquiétude. Car la jeunesse marocaine ne se contente plus de manifester : elle s’organise, communique, influence et consomme autrement. Le boycott économique devient ainsi un levier de transformation politique inédit. En changeant de stratégie, GenZ 212 impose un nouveau rapport de force. Loin d’être un feu de paille, ce mouvement illustre une mutation profonde du militantisme au Maroc. Entre la rue, le numérique et désormais l’économie, la Génération Z entend peser de tout son poids sur l’avenir du pays.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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