
Alors que le climat social se tend dans plusieurs villes du royaume, l’exécutif marocain se réunit en urgence pour tenter de reprendre la main. Face à une jeunesse de plus en plus visible dans la rue et sur les réseaux sociaux, les leaders des partis de la majorité cherchent à définir une réponse politique à la hauteur du malaise grandissant. Au cœur des revendications : l’état alarmant des services publics, en particulier la santé et l’éducation, sur fond de rejet croissant des priorités budgétaires fixées par le gouvernement.
Ce mardi, les têtes de la majorité gouvernementale se sont réunies à Rabat pour une réunion qualifiée d’urgente, convoquée à la suite des récentes vagues de manifestations dans plusieurs villes marocaines. Cette session a été présidée par le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et a réuni les figures de proue des trois partis formant la coalition au pouvoir : le Rassemblement National des Indépendants (RNI), le Parti de l’Istiqlal (PI) et le Parti Authenticité et Modernité (PAM).
Cette réunion viserait à élaborer une réponse politique à une crise sociale qui prend une ampleur inédite, marquée par la mobilisation spontanée et décentralisée d’une jeunesse qui réclame des réformes profondes dans les services publics, notamment la santé et l’éducation.
La rentrée politique perturbée par la rue
La réunion ministérielle intervient dans un contexte de forte tension sociale, coïncidant avec une rentrée politique déjà sous pression. Depuis le week-end du 27-28 septembre, des mouvements de jeunes ont tenté d’organiser des marches dans plusieurs villes pour dénoncer les carences du système de santé et de l’enseignement public. Ces manifestations, bien que largement encadrées par les forces de l’ordre, ont mis en exergue une fracture générationnelle : une jeunesse hyperconnectée, structurée en collectifs comme Moroccan Youth Voice, revendique plus de justice sociale et de transparence, en dehors des canaux partisans traditionnels.
L’élément déclencheur a été une série de décès de femmes enceintes à l’hôpital public Hassan-II d’Agadir, révélant les failles profondes du système hospitalier. Malgré des mesures administratives telles que des inspections et limogeages, la population reste sceptique, estimant que les réponses apportées ne règlent pas les problèmes systémiques. Cette indignation a trouvé un écho national, alimentant les appels à manifester dans d’autres villes. L’affaire d’Agadir est devenue le symbole d’un dysfonctionnement généralisé des services publics.
Mobilisation digitale, hors des structures classiques
L’originalité de cette vague de protestation réside dans son organisation : pas de partis politiques, pas de syndicats, mais des canaux Telegram, des messages codés, et une stratégie de mobilisation non violente. Des collectifs comme GenZ212 ont imposé un nouveau style de contestation, où les revendications s’expriment en langage technocratique : budgets, indicateurs de performance, égalité d’accès. Le fossé est ainsi flagrant entre cette génération qui exige des preuves concrètes d’action et un appareil politique qui continue de privilégier les effets d’annonce.
Parmi les slogans les plus repris figure celui qui oppose les investissements massifs pour le Mondial 2030 aux besoins urgents des hôpitaux et des écoles. Pour les manifestants, les priorités de l’État sont mal alignées avec les réalités du terrain : flambée des prix, chômage des jeunes diplômés, saturation des établissements de santé et manque d’enseignants qualifiés. Ce discours, centré sur la « dignité » et l’accès aux droits essentiels, a réussi à transcender les divisions idéologiques, rassemblant une base sociale large et variée.
Sécurité ou dialogue : le dilemme de l’exécutif
Face à cette mobilisation, les autorités ont majoritairement opté pour la dissuasion : interdictions de rassemblement, dispersions musclées, interpellations. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont alerté sur les restrictions croissantes à la liberté d’expression et à la manifestation pacifique. Toutefois, cette stratégie sécuritaire semble peu efficace pour désamorcer le mécontentement. Au contraire, elle pourrait renforcer la défiance envers les institutions, notamment chez les jeunes générations qui attendent des réformes structurelles, pas des réponses ponctuelles.
En parallèle de la réunion ministérielle, la Commission des secteurs sociaux de la Chambre des représentants se réunira mercredi pour interroger le ministre de la Santé. Cette session parlementaire s’annonce tendue, les groupes parlementaires ayant réclamé des comptes suite aux événements récents et à la montée des protestations. Il s’agit pour le gouvernement d’une première occasion de présenter des engagements concrets, chiffrés et datés, sous peine de voir la crise s’enliser durablement. La balle est désormais dans le camp de l’exécutif.