
Madagascar est suspendue. L’Union africaine condamne « fermement » le coup d’État militaire. Mais où était cette fermeté face aux dictatures vieillissantes de Côte d’Ivoire ou du Cameroun ? L’indignation à géométrie variable de l’UA pousse à de nombreuses interrogations.
Ce mercredi 15 octobre 2025, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine a suspendu Madagascar de toutes ses instances, condamnant sans équivoque la prise de pouvoir par les armes. Dans un communiqué formel, l’organisation panafricaine a réaffirmé sa doctrine de tolérance zéro envers les changements anticonstitutionnels de gouvernement, appelant à un retour à l’ordre constitutionnel et à une transition civile rapide.
Sur le papier, cette réaction peut sembler légitime. Dans les faits, elle sonne comme une démonstration d’hypocrisie flagrante. Car pendant que l’UA brandit le bâton contre les militaires malgaches, elle ferme les yeux sur les manipulations constitutionnelles qui permettent à certains chefs d’État africains de s’éterniser au pouvoir, sans coup de feu, mais non sans violence.
Une indignation sélective
Ce n’est pas la première fois que l’Union africaine dégaine sa politique de suspension automatique après un coup d’État. Depuis 2020, le continent a connu une recrudescence de putschs militaires au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et maintenant à Madagascar. Chaque fois, l’UA a réagi promptement… mais toujours dans les cas où l’armée agit directement.
Ce qui choque ici, c’est l’indignation à géométrie variable. Car si l’UA se dit garante de l’ordre constitutionnel, pourquoi reste-t-elle silencieuse lorsque des Présidents modifient à leur convenance les Constitutions pour briguer un 3ème, 4ème ou même 7ème mandat ? Où était l’Union africaine lorsqu’Alassane Ouattara, en Côte d’Ivoire, a contourné la Constitution pour se maintenir au pouvoir en 2020 ? Pourquoi n’a-t-elle pas haussé le ton contre Paul Biya, au Cameroun, Président depuis plus de 40 ans, élu dans des conditions dénoncées par tous les observateurs sérieux ?
Deux poids, deux mesures
La condamnation des coups d’État militaires est en soi justifiée. Nul ne peut souhaiter la militarisation du pouvoir, ni la régression démocratique. Mais en se montrant plus sévère envers les militaires qu’envers les dictateurs élus à vie, l’Union africaine perd toute crédibilité. Pire, elle envoie un message dangereux : la confiscation du pouvoir est acceptable, tant qu’elle est maquillée derrière une façade électorale. En d’autres termes : on peut piétiner les institutions, étouffer l’opposition, truquer les élections, tant qu’on évite les chars dans les rues.
C’est cette incohérence qui nourrit le désespoir de nombreux peuples africains, poussant certains à voir dans l’armée une alternative, aussi contestable soit-elle. Car lorsque les canaux démocratiques sont verrouillés par des autocrates déguisés en Présidents, que reste-t-il ? L’Union africaine, en refusant de sanctionner ces dérives, alimente indirectement les coups de force qu’elle prétend condamner.
Madagascar : victime ou coupable ?
Revenons à Madagascar. Le coup d’État militaire est une grave atteinte à la démocratie. Il doit être condamné. Mais il serait malhonnête d’ignorer le contexte : une crise politique profonde, des institutions fragiles, une contestation persistante du pouvoir civil, accusé de corruption et d’autoritarisme. Faut-il rappeler que ce n’est pas la première fois que l’armée intervient dans l’histoire politique malgache ? Et que cela découle, souvent, d’une perte totale de confiance dans les mécanismes démocratiques existants ?
En appelant à un « retour à l’ordre constitutionnel », l’Union africaine semble oublier que cet ordre était lui-même délégitimé. Quelle crédibilité accorder à une Constitution sans respect des contre-pouvoirs, à un gouvernement civil qui n’incarne plus la volonté populaire ? L’appel au dialogue national lancé par l’UA est salutaire. Mais il doit être accompagné d’une autocritique sérieuse.
Une Union africaine à reconstruire
L’Union africaine a été conçue pour incarner l’unité, la souveraineté populaire et le progrès démocratique du continent. Mais elle ne peut être un acteur de paix et de stabilité si elle ne combat que les symptômes (les coups d’État militaires) en oubliant les causes profondes (la confiscation du pouvoir, l’absence d’alternance, la fraude électorale, la répression de l’opposition).
Si l’UA veut restaurer sa crédibilité, elle doit élargir sa définition de « changement anticonstitutionnel » pour inclure :
- les tripatouillages constitutionnels à des fins personnelles,
- les élections truquées ou sans concurrence réelle,
- les Présidences à vie camouflées sous des habits « démocratiques »,
- les atteintes systématiques aux libertés fondamentales.
Une fermeté équitable ou le chaos assuré
En condamnant le coup d’État à Madagascar tout en tolérant des décennies d’autoritarisme ailleurs, l’Union africaine se rend complice de l’instabilité qu’elle prétend combattre. Le double standard affaiblit sa parole, mine la confiance des peuples et contribue à la crise de légitimité que traverse le continent.
Il est temps pour l’UA de faire preuve de cohérence. D’appliquer ses principes à tous les États, sans exception. D’écouter les peuples, pas seulement les Présidents. Car sans justice politique, sans alternance véritable, sans institutions solides, il ne peut y avoir ni paix durable, ni démocratie stable en Afrique. A bon entendeur !