Joseph Kabila relance son agenda politique à Goma, au cœur de la controverse


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L'ancien président congolais Joseph Kabila
L'ancien président congolais Joseph Kabila

L’ancien Président congolais, Joseph Kabila Kabange, est de retour sur le devant de la scène nationale. Installé depuis quelques jours à Goma, capitale du Nord-Kivu, selon diverses sources, l’ex-chef de l’État et sénateur à vie affûte un agenda de rencontres et de consultations au cœur d’un territoire contrôlé en grande partie par les rebelles de l’AFC/M23. Une offensive politique qui soulève interrogations, espoirs et inquiétudes, alors que des accusations de complicité avec cette rébellion pèsent désormais officiellement sur lui.

Joseph Kabila est présent à Goma, selon plusieurs sources. De cette ville sous contrôle du M23, l’ancien Président monte un agenda. Un agenda en tête duquel figure Corneille Nangaa, coordonnateur de l’AFC/M23, reçu ce mardi même par l’ex-dirigeant.

Un agenda chargé et soigneusement orchestré

Ce mardi 27 mai, Joseph Kabila a reçu Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et aujourd’hui coordonnateur politique de l’AFC/M23, accompagné notamment de Bertrand Bisimwa. Cette première entrevue, présentée par ses proches comme une simple prise de contact, a eu lieu dans une zone contrôlée par la rébellion soutenue par le Rwanda. Ce geste a immédiatement fait réagir une partie de la classe politique et de la société civile congolaise, qui y voit un acte lourd de significations politiques et symboliques. « Le Président Joseph Kabila a reçu aujourd’hui Corneille Nangaa pour le salamalek, juste une prise de contact », a confié à actualite.cd une source de son entourage.

L’ancien Président entend visiblement s’installer durablement à Goma pour une série de consultations avec les forces vives de la région : autorités politiques, groupes religieux, organisations féminines, chefs coutumiers, opérateurs économiques et leaders communautaires. « Il veut vraiment voir tout le monde », selon une source proche de son équipe d’organisation.

Mais la publication officielle de son programme initialement annoncée pour ce mardi a été reportée, en raison de l’ampleur des rendez-vous à organiser. Selon son entourage, Joseph Kabila veut « s’imprégner de la situation locale » avant toute prise de parole publique. Une conférence de presse est cependant prévue à l’issue de ces consultations.

Un retour sur fond de tensions judiciaires et sécuritaires

Ce retour de Kabila intervient dans un contexte judiciaire particulièrement complexe. Le Sénat a récemment levé ses immunités parlementaires, à la suite d’un réquisitoire de l’auditeur général des FARDC. Il pourrait désormais faire l’objet de poursuites pour sa supposée complicité avec les rebelles de l’AFC/M23, un groupe accusé de nombreuses exactions dans l’est du pays.

Cette séquence alimente les soupçons de collusion entre Kabila et les groupes armés actifs dans la région. Des rumeurs persistantes évoquent même une visite confidentielle de l’ancien Président au centre de formation idéologique du M23/AFC à Rumangabo, dans le territoire de Rutshuru. Des informations que Jean-Claude Katende, président de l’Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO), dit prendre « avec beaucoup de précaution », tout en insistant sur la gravité d’une telle implication si elle était avérée.

Un discours critique et un « pacte citoyen » en toile de fond

Lors d’une rare prise de parole publique, le 23 mai dernier, Joseph Kabila avait livré une analyse sévère de la gouvernance de son successeur Félix Tshisekedi. Il a dénoncé une « gouvernance non orthodoxe », marquée selon lui par la corruption, le détournement des fonds publics et une dérive autoritaire, affirmant que « la volonté du chef de l’État tient désormais lieu de loi suprême ».

Joseph Kabila y a également exposé un « pacte citoyen » en douze points, censé répondre à la crise multidimensionnelle que traverse le pays : pauvreté, insécurité, effondrement des services publics et perte de confiance généralisée. Mais l’absence de condamnation explicite des exactions commises par l’AFC/M23 dans son discours a été vivement critiquée.

Les doutes de la société civile : Kabila, homme de paix ou calcul politique ?

Pour Jean-Claude Katende, les activités de Kabila à Goma ne sont pas guidées par l’intérêt du peuple congolais. « À partir du discours de l’ancien président de la République, dans lequel il n’a pas condamné les exactions commises par l’AFC/M23, ni présenté de condoléances aux familles endeuillées à la suite de l’occupation de Goma et Bukavu, il est possible d’affirmer que les activités du Président Kabila ne se feront pas dans l’intérêt du Congo ni des Congolais », a confié Jean-Claude Katende à MediaCongo Press. Avant de poursuivre : « Nous attendons le programme qui doit être communiqué aujourd’hui, comme annoncé, afin de voir si ces activités visent réellement la paix ou s’inscrivent dans des intérêts particuliers ».

Il insiste par ailleurs sur la nécessité de justice pour les victimes des crimes de guerre. « Tant que les responsables de crimes contre l’humanité ne seront pas punis, il n’y aura pas de paix durable dans l’est », martèle-t-il.

Enjeux politiques majeurs à l’horizon

Le retour de Joseph Kabila à Goma, dans une zone aussi sensible, en pleine crise sécuritaire et alors qu’il est sous la menace de poursuites judiciaires, constitue un acte lourd de sens dans la vie politique congolaise. Certains y voient une tentative de recomposition politique, voire de réhabilitation. D’autres redoutent une manœuvre dangereuse, susceptible d’attiser les tensions dans une région déjà meurtrie.

Une chose est certaine : la présence de Joseph Kabila à Goma est très scrutée tant par la classe politique que par la société civile, comme l’a laissé entendre Jean-Claude Katende. Et les prochaines étapes de cette initiative sont attendues avec attention. Joseph Kabila, lui, n’a sûrement pas dit son dernier mot. Dans un pays où le passé et le présent se croisent toujours sur le terrain de l’instabilité, le retour de l’ancien Président pourrait bien rebattre les cartes.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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