
L’ancien Président de la République Démocratique du Congo (RDC) et Sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange s’est adressé à la Nation congolaise le vendredi 23 mai à 19h30 heure de Kinshasa. Ayant abandonné sa barbe blanche de patriarche pour retrouver sa moustache d’homme d’action, c’est dans un discours solennel, calme et au ton ferme, qu’il a pour la première fois, depuis l’alternance historique à la suite de laquelle il a quitté le pouvoir en janvier 2019, abandonné le strict devoir de réserve qu’il s’était imposé, au vu de la situation de “crise existentielle” que traverse le pays, au risque d’être “poursuivable devant le tribunal de l’histoire, pour non-assistance à plus de cent millions de compatriotes en danger” malgré les attaques ou diffamations dont il a été la cible au cours des dernières années de la part de la “tyrannie” de Félix Tshisekedi. Dans ce discours diffusé sur les réseaux sociaux, l’ancien chef de l’État a appelé à un « pacte citoyen pour la refondation de l’État » autour de douze engagements majeurs.
Un héritage trahi
Joseph Kabila n’a pas manqué de rappeler les conditions dans lesquelles il avait quitté le pouvoir en janvier 2019, évoquant une transition « pacifique et civilisée », première du genre depuis l’indépendance du pays en 1960, rendue possible, selon lui, par un accord de gouvernance avec son successeur visant à préserver la stabilité nationale. « J’avais en effet légué un bien meilleur héritage à mon successeur« , a-t-il déclaré, évoquant un pays « réunifié, pacifié » dans toute sa superficie, doté d’institutions républicaines fonctionnelles, d’une économie assainie et d’une armée en voie de professionnalisation.
Mais pour l’ancien président, cet acquis aurait été « dilapidé » en un temps record. Il accuse le régime actuel d’avoir méthodiquement détruit les fondations d’un État démocratique au profit d’un pouvoir personnel, marqué par le populisme, la dérive autoritaire et l’instrumentalisation des institutions. « La République a cessé d’être démocratique« , martèle-t-il, estimant que « la volonté du chef de l’État tient désormais lieu de loi suprême« .
Un réquisitoire contre la gouvernance Tshisekedi
Le discours de Joseph Kabila s’apparente par moments à un véritable réquisitoire. Il revient sur les épisodes qu’il considère comme des ruptures du pacte républicain : la « mise au pas » de la Cour constitutionnelle, le « renversement » de la majorité parlementaire en 2020, la nomination controversée des membres de la Commission Électorale Indépendante CENI), ou encore l’organisation « frauduleuse » des élections de décembre 2023 et la tentative de changement constitutionnel l’année passée.
Plus grave encore, il accuse le pouvoir d’avoir « perverti l’appareil sécuritaire » et “régionalisé” la crise interne en confiant des missions régaliennes à des groupes armés et mercenaires, reléguant l’armée nationale à un rôle secondaire, voire méprisé et en faisant des forces négatives, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), ainsi que des centaines de groupes armés congolais, des supplétifs des Forces Armées de la République Démocratique du Congo. « Je connais nos soldats. Ce qui a changé, c’est la qualité du commandement« , a-t-il affirmé avec émotion, appelant à une réhabilitation urgente des forces armées congolaises.
Il regrette que la RDC sous Félix Tshisekedi se soit “détournée des deux principaux instruments internationaux qui étaient à la base de l’architecture régionale de paix et de sécurité” laquelle avait permis la stabilité régionale, à savoir : le Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la Région des Grands Lacs ; et l’Accord-cadre pour la Paix, la Sécurité et la Coopération pour la République Démocratique du Congo et la région.
La crise multidimensionnelle, un appel à la refondation
Au-delà du bilan sécuritaire, Joseph Kabila s’est attardé sur la situation économique et sociale du pays. Il dénonce une « reprise galopante de l’inflation », un « endettement massif », une « corruption systémique » et un « appauvrissement dramatique » des populations, guettées par la famine. La jeunesse, autrefois porteuse d’espoir démocratique, est aujourd’hui, selon lui, « désabusée, sans repères et livrée aux entrepreneurs de conflits ».
Face à ce qu’il qualifie de « crise profonde et multidimensionnelle », l’ancien président appelle à une solution globale. « Le Congo n’appartient à aucun régime, mais à son peuple« , affirme-t-il. C’est dans cet esprit qu’il lance un appel à l’unité nationale autour d’un « pacte citoyen », dont les douze priorités sont :
- Mettre fin à la tyrannie ;
- Arrêter la guerre ;
- Rétablir l’autorité de l’État sur toute l’étendue du territoire national ;
- Restaurer la démocratie en restaurant un véritable État de droit ;
- Rétablir les libertés fondamentales ;
- Réconcilier les congolais et reconstruire la cohésion nationale ;
- Relancer le développement du pays par la bonne gouvernance économique ;
- Relancer le dialogue avec les pays voisins pour instaurer la paix dans la région;
- Rétablir la crédibilité du pays auprès de ses partenaires internationaux ;
- Neutraliser et renvoyer tous les groupes armés nationaux et étrangers ;
- Mettre définitivement fin au recours et à l’utilisation des mercenaires ;
- Imposer le retrait, sans délai, de toutes les troupes étrangères du Congo, comme l’a décidé pour sa part la SADC.
Un message d’ouverture et de responsabilité
Dans un ton mesuré mais ferme, Joseph Kabila a également exprimé son soutien aux démarches de dialogue inclusif, saluant notamment les initiatives de la CENCO et de l’ECC. Il a aussi reconnu l’importance des médiations régionales et internationales (Luanda, Nairobi, Doha), appelant à replacer les Congolais au centre des discussions. « Il ne peut y avoir de solution sécuritaire sans solution politique sincère« , insiste-t-il. “Les solutions aux divisions congolaises doivent être conçues par les Congolais, pour les Congolais, et ne pas résulter de négociations favorisant d’abord les intérêts d’autres peuples ou d’autres nations” dit-il.
Enfin, revenant sur les spéculations autour de sa présence à Goma, il a dénoncé « l’arbitraire » des décisions prises par les autorités actuelles à son encontre, sur la foi de rumeurs diffusées par les réseaux sociaux, tout en réaffirmant son engagement pour le Congo et sa décision d’effectuer une visite dans la capitale du Nord-Kivu pour soutenir une population congolaise éprouvée par la guerre et travailler à la restauration de la souveraineté du pays sur l’intégralité de son territoire: « Hier au pouvoir, aujourd’hui en dehors du pouvoir, je demeure fidèle à mon serment. Je m’engage à jouer ma partition.«
Un appel solennel à la reconstruction du Congo
Le Président Joseph Kabila Kabange lance donc un appel solennel à tous les Congolais sans distinction de sexe, d’âge , d’ethnie, de classe sociale, d’origine géographique ni d’orientation politique, afin qu’ils rejoignent ce sursaut patriotique pour un pacte citoyen, visant à tirer le pays du gouffre où il s’enfonce jour après jour, pour “comme en 1960, vaincre les démons de la division”, “comme dans les années quatre-vingt, vaincre la tyrannie” et “comme en 2003, mettre fin à la violence armée”.
Et il s’engage lui-même à prendre immédiatement toute sa part à ce combat pour la restauration de l’unité et de la démocratie congolaises.