
Alors que le lancement du parti Les Bâtisseurs, porté par le général-président Brice Clotaire Oligui Nguema, est prévu ce samedi 5 juillet à Libreville, l’initiative soulève de vives interrogations sur la sincérité du processus de transition au Gabon. Derrière les discours de renouveau et d’unité nationale, nombreux sont ceux qui voient dans cette formation politique un instrument taillé pour asseoir durablement le pouvoir personnel d’Oligui. Une manœuvre qui ravive les inquiétudes sur un retour déguisé aux pratiques autoritaires sous couvert de démocratie participative.
Alors que Libreville s’apprête à accueillir l’Assemblée générale constitutive du parti Les Bâtisseurs, ce samedi 5 juillet, la scène politique gabonaise semble basculer un peu plus dans une pièce aux accents déjà connus : celle d’un pouvoir militaire déguisé en démocratie participative. Derrière la façade rutilante du Palais des Sports et les discours d’unité nationale, une question simple mais cruciale se pose : à quoi joue Brice Clotaire Oligui Nguema ? Ce que certains appellent une évolution naturelle de son engagement politique s’apparente de plus en plus à une tentative préoccupante de captation du pouvoir par les voies les plus classiques du populisme autoritaire.
Un projet repoussé, une légitimité vacillante
Le lancement du parti Les Bâtisseurs, initialement prévu dès avril, a été plusieurs fois repoussé. Derrière ces retards, des hésitations stratégiques et un embarras mal dissimulé. Car contrairement à ce que ses promoteurs voudraient faire croire, ce parti ne suscite pas une adhésion spontanée mais bien des doutes profonds, même parmi ceux qui avaient placé un mince espoir dans la transition militaire.
Brice Clotaire Oligui Nguema, arrivé au pouvoir par un coup d’État en août 2023, avait promis une refondation républicaine. Il s’était présenté comme un militaire de transition, soucieux de restaurer l’ordre démocratique après la fin contestée du règne d’Ali Bongo. Un an plus tard, le constat est amer : la transition s’est figée, les promesses de rupture s’étiolent, et la création de Les Bâtisseurs apparaît comme un nouveau véhicule personnel pour pérenniser le pouvoir plutôt que comme une expression du pluralisme politique.
Un parti taillé sur mesure pour le pouvoir
Le mode de lancement du parti en dit long sur sa philosophie. L’appel à adhésion avec carte d’identité et Numéro d’identification personnel (NIP) peut sembler anodin, mais il constitue une démarche hautement politique : elle introduit un filtrage bureaucratique à l’entrée du militantisme, dissuade les curieux, et favorise une adhésion sous contrôle. À l’heure où le Gabon a cruellement besoin de liberté d’expression et de reconfiguration pluraliste, ce nouveau parti ressemble à un appareil verrouillé autour d’un homme.
L’appellation même des « Bâtisseurs » vise à flatter un imaginaire de renouveau et d’action, mais elle ne saurait masquer les véritables intentions : construire un socle électoral fidèle au président, neutraliser les opposants, et faire du parti une extension directe de la présidence. Rien ne distingue fondamentalement Les Bâtisseurs de l’ancien Parti démocratique gabonais (PDG) d’Ali Bongo. Même culte de la personnalité, même logique de centralisation du pouvoir, même rhétorique d’unité autour du chef. Ce n’est pas un parti qui naît : c’est une stratégie d’occupation de l’espace politique.
Le mirage de la transition
Oligui Nguema avait promis de ne pas se présenter aux élections une fois la transition achevée. Cette parole est aujourd’hui vidée de son sens. La mise en orbite d’un parti présidentiel rend son ambition évidente : briguer un mandat avec une légitimité électorale forgée sur mesure. Ce reniement de promesse est plus qu’un faux pas : c’est un signal d’alerte pour tous ceux qui espéraient voir le Gabon s’éloigner durablement du cycle des dictatures dynastiques et des coups d’État recyclés en gouvernance.
La Constitution transitoire reste floue sur les réelles intentions du régime. Les institutions censées accompagner la transition (Conseil de la Transition, Comité pour la restauration des institutions) fonctionnent dans une opacité inquiétante. Dans ce contexte, le lancement d’un parti présidentiel ressemble moins à un geste démocratique qu’à une opération de camouflage d’un pouvoir qui ne veut pas lâcher prise.
Un peuple à la merci des ambitions personnelles
Le véritable enjeu, au fond, n’est pas la création d’un parti de plus, mais le détournement de l’espoir collectif. En s’appropriant les codes de la démocratie sans en respecter l’esprit, Oligui Nguema et ses partisans alimentent le cynisme politique. Ils font croire à une reconstruction alors qu’il ne s’agit que d’une reconduction. La jeunesse gabonaise, pourtant mobilisée en août 2023, risque de payer le prix de cette désillusion programmée.
Le Gabon a besoin d’un débat national profond, ouvert, pluraliste. Il a besoin de justice, de réforme institutionnelle, d’un cadre électoral fiable, d’une presse libre. Il n’a pas besoin d’un nouveau parti présidentiel qui concentre les moyens, les réseaux et l’appareil d’État pour écraser la concurrence. Les Bâtisseurs ne bâtissent rien : ils recyclent.