RDC : Kabila brise le silence et dénonce une « dictature » après la levée de son immunité parlementaire


Lecture 4 min.
L'ancien président congolais Joseph Kabila
L'ancien président congolais Joseph Kabila

C’est une prise de parole aussi inédite que fracassante. Au lendemain de la levée de son immunité parlementaire par le Sénat congolais, l’ancien président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, est sorti de son silence, ce vendredi 23 mai 2025, dans une allocution d’une quarantaine de minutes diffusée en ligne.

Dans ce message, Joseph Kabila fustige des « décisions arbitraires », s’en prend violemment au pouvoir en place, et annonce sa volonté de se rendre à Goma, épicentre de la crise sécuritaire à l’est du pays.

Le 22 mai, le Sénat congolais a voté à une large majorité la levée de l’immunité parlementaire de Joseph Kabila, sénateur à vie en vertu de son statut d’ancien chef de l’État. Cette décision, exceptionnelle dans l’histoire politique du pays, ouvre désormais la voie à d’éventuelles poursuites judiciaires contre l’ancien président, qui a dirigé la RDC de 2001 à 2019.

La procédure a été dénoncée par les proches de Kabila comme une manœuvre politique, destinée à écarter une figure encore influente de la scène nationale, alors que le second mandat de Félix Tshisekedi est marqué par des tensions croissantes au sommet de l’État.

Un discours offensif, une cible claire

L’intervention de Joseph Kabila, rare et solennelle, passe pour un événement au regard de la discrétion de l’ancien dirigeant depuis son départ de la tête de la RDC. « La dictature doit prendre fin », a-t-il martelé, sans jamais nommer directement Félix Tshisekedi, mais en ciblant sans ambiguïté son régime. L’ancien président a dénoncé un pouvoir « illégitime », des « violations intentionnelles de la Constitution » et une République « gravement malade ». Il accuse le gouvernement actuel de détourner l’attention des Congolais de ses « contre-performances » en engageant des procédures judiciaires contre ses alliés et lui.

En filigrane, le discours de Kabila ressemble à une tentative de reconquête politique. Il annonce vouloir se rendre à Goma, dans le Nord-Kivu. Une annonce déjà faite il y a quelques semaines et qui finalement avait donné lieu à toutes les supputations. Ce déplacement, s’il a lieu, pourrait être interprété comme une démonstration de force et une manière de défier publiquement les autorités de Kinshasa.

Une justice instrumentalisée ?

La levée de l’immunité de Joseph Kabila s’inscrit dans une série d’enquêtes et de procédures ciblant d’anciens hauts responsables. L’ex-chef de l’ANR (Agence nationale de renseignement), Kalev Mutond, et l’ancien ministre des Finances Henri Yav, font également l’objet de poursuites ou d’enquêtes en cours. Cette vague judiciaire est saluée par certains comme un signe de lutte contre l’impunité, mais dénoncée par d’autres comme un outil de règlement de comptes politiques.

Les ONG congolaises restent divisées. Si certaines appellent à « une justice équitable et indépendante », d’autres rappellent que de nombreux scandales sous le régime actuel n’ont donné lieu à aucune procédure judiciaire, alimentant ainsi les soupçons de sélectivité.

Une manœuvre risquée pour Tshisekedi

L’ouverture d’un front judiciaire contre Kabila est une manœuvre à double tranchant pour le président Tshisekedi. D’un côté, elle peut renforcer son image d’homme de rupture, déterminé à assainir les institutions. De l’autre, elle risque de braquer une partie de la population, notamment dans le Grand Katanga et l’est du pays, où Kabila conserve une assise importante.

Surtout, dans un climat de tensions régionales — avec l’activisme des groupes armés, les frictions avec le Rwanda et l’Ouganda — une instabilité politique interne pourrait affaiblir davantage l’État congolais.

Vers une crise politique ouverte ?

En appelant à un « pacte citoyen » pour « tirer le pays du gouffre », Joseph Kabila tente de se repositionner en homme d’État soucieux de l’intérêt général. Mais cette main tendue apparaît aussi comme un défi au pouvoir en place, une manière de contourner les institutions qu’il juge « illégitimes » et de s’adresser directement au peuple.

La RDC entre ainsi dans une situation extrêmement délicate : un ancien président mis en accusation, un climat sécuritaire délétère, une opposition fragmentée mais en éveil, et une population de plus en plus méfiante face à ses élites. L’avenir politique de Joseph Kabila, comme celui de la RDC, est suspendu aux décisions des prochains jours. Mais une chose est sûre : en brisant le silence, l’ancien président a rouvert une page que le pouvoir espérait avoir définitivement tournée.

YouTube video
Avatar photo
Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
Facebook Linkedin
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News