La Guinée sous l’emprise de la peur


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Police Guinée

Un an après la disparition forcée de deux militants du FNDC, la répression s’intensifie en Guinée. Journalistes, avocats et opposants politiques sont systématiquement ciblés par des enlèvements et des actes de torture. Face au silence des autorités, 25 organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, tirent la sonnette d’alarme sur ce « climat de terreur » qui paralyse la société civile guinéenne.

Un an jour pour jour après la disparition forcée d’Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, deux figures emblématiques du Front national de défense de la Constitution (FNDC), la Guinée s’enfonce dans une spirale répressive inquiétante. Le 9 juillet 2024, ces deux militants ont été arrachés à leurs proches par des hommes armés au domicile d’Oumar Sylla à Conakry, avant d’être emmenés vers l’archipel des îles de Loos par les forces spéciales. Depuis, le silence des autorités est total.

Cette disparition forcée marque un tournant dans la dégradation des droits humains en Guinée. Selon Amnesty International et 24 autres organisations de défense des droits humains, les autorités guinéennes maintiennent « un silence insupportable » sur le sort de ces deux hommes, sans qu’aucune preuve tangible d’enquête sérieuse n’ait été apportée malgré les promesses officielles.

La multiplication alarmante des cas

Le cas d’Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah n’est malheureusement pas isolé. Le 3 décembre 2024, c’est au tour du journaliste Habib Marouane Camara, administrateur général du site d’information Le Révélateur, d’être enlevé à Lambanyi par des hommes en uniforme. Malgré la reconnaissance par le parquet de Dixinn que cette arrestation a été « effectuée sans ordres des autorités établies et hors les cas prévus par la loi« , ses proches restent sans nouvelles.

Plus récemment encore, en 2025, la répression s’est intensifiée avec des cas d’enlèvements suivis d’actes de torture. Abdoul Sacko, coordinateur national du Forum des forces sociales de Guinée, a été enlevé le 19 février 2025 puis retrouvé le même jour « dans un état critique, torturé et abandonné par ses ravisseurs en brousse« , selon ses avocats. Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Guinée, a subi un sort similaire en juin 2025, retrouvé « le dos couvert de blessures » après avoir été enlevé à son domicile.

Un système de terreur organisé

Ces enlèvements et disparitions ne sont pas des actes isolés mais s’inscrivent dans ce que le Barreau de Guinée qualifie de « climat de terreur qui s’installe progressivement« . Les témoignages recueillis par les organisations de défense des droits humains dressent un tableau glaçant de la situation.

Un avocat confie : « Depuis que j’ai commencé à défendre certaines personnes critiques du gouvernement, j’ai reçu au moins quatre appels confirmant que je suis sur la liste des personnes dont l’enlèvement est planifié. » Un défenseur des droits humains raconte avoir été alerté par des contacts au sein du système judiciaire qu’il serait « le prochain sur la liste » après avoir dénoncé l’enlèvement de Mohamed Traoré.

Face à ces menaces, nombreux sont ceux qui vivent dans la clandestinité. Un cadre d’un parti d’opposition vit caché depuis plusieurs mois, changeant fréquemment de domicile et d’itinéraire. Cette stratégie de la peur paralyse efficacement toute forme d’opposition ou de critique du pouvoir en place.

L’inaction complice des autorités

Malgré les annonces répétées d’ouverture d’enquêtes « minutieuses et complètes » par le procureur général, aucun résultat concret n’a été communiqué. Cette absence de réaction des autorités judiciaires, dénoncée par le Barreau de Guinée, alimente les soupçons sur l’implication directe ou indirecte de l’appareil d’État dans ces exactions.

Le contexte politique guinéen éclaire cette dérive autoritaire. Le FNDC, dissous en 2022, militait pour un retour à un régime civil. Oumar Sylla, son coordinateur national, avait appelé à manifester le 11 juillet 2024 contre la répression des médias et la cherté de la vie, quelques jours seulement avant sa disparition.

Face à cette situation alarmante, 25 organisations guinéennes et internationales de défense des droits humains, dont Amnesty International, lancent un appel pressant aux autorités. Elles exigent que la lumière soit faite sur tous les cas d’enlèvements et de disparitions à travers des enquêtes « rapides, indépendantes et transparentes« .

Ces organisations demandent également à la Guinée de ratifier sans réserve la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, et de respecter ses engagements pris devant le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en avril 2025.

Une démocratie en péril

La multiplication des enlèvements, disparitions forcées et actes de torture en Guinée révèle une dérive autoritaire profonde qui menace les fondements mêmes de l’État de droit. Le ciblage systématique des voix critiques – qu’il s’agisse de militants politiques, de journalistes, d’avocats ou de défenseurs des droits humains – dessine les contours d’un régime qui ne tolère aucune forme de dissidence.

L’impunité dont bénéficient les auteurs de ces crimes renforce le sentiment d’insécurité et d’abandon ressenti par la population. Sans une réaction forte de la communauté internationale et une mobilisation continue de la société civile, la Guinée risque de s’enfoncer davantage dans cette spirale répressive.

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La rédaction d'Afrik, ce sont des articles qui sont parfois fait à plusieurs mains et ne sont donc pas signés par les journalistes
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