En Guinée, la junte étouffe les voix qui dérangent


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L'ancien bâtonnier guinéen Mohamed Traoré
L'ancien bâtonnier guinéen Mohamed Traoré

Dans la nuit du 20 au 21 juin, l’ancien bâtonnier guinéen Mohamed Traoré a été enlevé à son domicile de Conakry par des hommes armés en civil. Trois jours à peine après son retour de La Mecque, ce fervent défenseur des libertés a été brutalement sorti de son lit devant sa famille, passé à tabac, puis abandonné dans un état critique à Bangouyah, à une vingtaine de kilomètres de la capitale.

Figure respectée de la société civile et ancien membre du Conseil national de la transition (CNT), Me Traoré paie aujourd’hui le prix fort de ses prises de position contre le régime militaire dirigé par le général Mamadi Doumbouya.

Un climat d’intimidation qui s’installe durablement

Ce rapt s’ajoute à une liste déjà longue d’enlèvements ciblés : opposants politiques, journalistes, hauts fonctionnaires et défenseurs des droits humains sont de plus en plus nombreux à disparaître, parfois sans laisser de traces. Des figures comme Foniké Menguè, Mamadou Billo Bah ou encore Habib Marouane Camara ont également été arrêtées ou harcelées. Mais l’affaire Traoré a choqué jusque dans les rangs les plus institutionnels : le conseil de l’ordre des avocats de Guinée a annoncé une suspension de deux semaines de toutes ses activités judiciaires et dénoncé un acte de terreur contre la justice elle-même.

Une junte sourde aux critiques et obsédée par le contrôle

Depuis le coup d’État de septembre 2021, la junte guinéenne semble avoir progressivement verrouillé l’espace démocratique. Me Mohamed Traoré, qui avait quitté le CNT en janvier dernier pour protester contre la non-tenue d’élections, a été l’une des voix les plus virulentes contre le glissement autoritaire du pouvoir. Sa récente critique d’un processus électoral biaisé et instrumentalisé par l’exécutif pourrait avoir été, selon plusieurs analystes, « la goutte de trop » pour le régime.

Des violences sous haute suspicion de l’État

Les circonstances de l’enlèvement de Me Traoré ne laissent guère de doute quant à l’implication des autorités. Ses ravisseurs ont franchi sans difficulté les points de contrôle, l’un d’eux portait un pantalon de gendarme, et ils ont infligé, selon des témoignages, près de « 500 coups » en guise d’avertissement. Cette brutalité méthodique, accompagnée de menaces de mort explicites, vise clairement à faire taire l’opposition et à dissuader toute critique.

Une société civile sous pression, mais mobilisée

Malgré la peur, les réactions se multiplient. Cellou Dalein Diallo, leader en exil, a salué le courage de l’ancien bâtonnier. Il a également dénoncé la dérive dictatoriale du régime. D’autres partis politiques et ONG tirent la sonnette d’alarme. Pour nombre de Guinéens, cette nouvelle escalade dans la répression traduit la volonté de Mamadi Doumbouya de se maintenir au pouvoir au mépris de la transition promise.

La Guinée est aujourd’hui à la croisée des chemins. La brutalité infligée à Mohamed Traoré, avocat, homme de loi, et citoyen engagé, envoie un signal glaçant à toute une société. La question reste entière : la transition guinéenne accouchera-t-elle d’une démocratie ou d’une dictature déguisée ?

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