Condamnation de Matata Ponyo : une onde de choc politique et judiciaire secoue la RDC


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Matata Ponyo
L'opposant congolais Matata Ponyo

La scène politique congolaise est en ébullition depuis la condamnation prononcée par la Cour constitutionnelle à l’encontre de l’ancien Premier ministre, Augustin Matata Ponyo. Reconnu coupable de détournement de fonds publics dans l’affaire du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, celui qui est également député national et président du parti d’opposition LGD (Leadership et Gouvernance pour le Développement) a écopé de dix ans de travaux forcés, assortis d’une inéligibilité de cinq ans et de la saisie de ses biens. Ce verdict, sans appel, soulève une vague de réactions politiques, juridiques et sociales d’une ampleur inédite.

La condamnation de Matata Ponyo n’est pas un simple acte judiciaire. Elle marque le point d’orgue d’un long feuilleton judiciaire entamé en 2021, lorsque la Cour constitutionnelle s’était initialement déclarée incompétente à juger un ancien chef de gouvernement. La Cour de cassation avait alors pris le relais, avant de renvoyer l’affaire à nouveau devant la Cour constitutionnelle pour interprétation de la Constitution. Contre toute attente, cette dernière s’est déclarée compétente, opérant ainsi un revirement de jurisprudence majeur, aujourd’hui critiqué jusque dans les rangs du pouvoir législatif.

Kamerhe apaise, Ngondankoy s’indigne

Lors de la plénière houleuse du 21 mai à l’Assemblée nationale, les réactions des députés ont été aussi vives que divergentes. Tandis que certains parlementaires exprimaient leur indignation face à ce qu’ils considèrent comme une justice instrumentalisée, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a appelé à l’apaisement. Il a rappelé que l’Assemblée n’a pas encore été officiellement notifiée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle et qu’aucun débat ne saurait être ouvert sans cette formalité. « Je comprends bien votre position, le message que vous véhiculez […]. Mais, nous risquons nous-mêmes de glisser dans l’inconstitutionnalité si nous commençons à commenter les arrêts de la Cour constitutionnelle », a-t-il averti.

À l’inverse, le député Paul Gaspard Ngondankoy Nkoy Ea Loongya s’est montré particulièrement critique. Il a accusé la Cour d’avoir usurpé une interprétation excessive de ses prérogatives constitutionnelles et a proposé la tenue d’une réunion interinstitutionnelle sous l’égide du président de la République pour « recadrer » la Haute juridiction.

Réactions contrastées dans la classe politique et la société civile

Le verdict a divisé la classe politique congolaise. Tandis que Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), a salué un signal fort contre l’impunité, plusieurs autres voix s’élèvent pour dénoncer une justice à deux vitesses. Jean-Claude Katende, président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), regrette une lutte contre la corruption qu’il qualifie de sélective. Même son de cloche chez Jonas Tshiombela, coordonnateur de la Nouvelle société civile congolaise (NSCC) qui déplore que d’autres responsables impliqués dans des scandales similaires, comme ceux du projet Tshilejelu, restent impunis.

L’opposition politique ne mâche pas ses mots. Olivier Kamitatu, proche de Moïse Katumbi, parle d’une « trahison du droit », tandis que la sénatrice honoraire Francine Muyumba, cadre du FCC de Joseph Kabila, exprime sa solidarité à Matata Ponyo.

Une décision à haute portée politique ?

Candidat malheureux à la Présidentielle de décembre 2023, Matata Ponyo demeure une figure de poids de l’opposition. Sa condamnation, prononcée par la Cour constitutionnelle en premier et dernier ressort, coupe court à toute possibilité de recours. Elle entraîne en outre sa radiation de la vie politique pour au moins cinq ans. Le parti LGD, très implanté dans le Maniema, dénonce une manipulation politique et prévient que ce verdict pourrait fragiliser davantage la cohésion nationale dans un pays confronté à des tensions sécuritaires croissantes.

Au-delà du cas Matata, l’affaire pose un précédent juridique de taille. L’interprétation controversée de la compétence de la Cour constitutionnelle pourrait faire jurisprudence, alors même que plusieurs autres affaires de détournements de fonds publics restent pendantes. De nombreux juristes s’interrogent sur les risques d’une confusion persistante entre justice et politique, dans un pays encore marqué par les séquelles de décennies de crise institutionnelle. Et le député Ngondankoy de souligner : « Il y a une différence nette, dans une démocratie, entre les représentants du peuple qui édictent des normes et les juges qui ne font que les appliquer.  Le juge ne peut pas se substituer au législateur pour pouvoir s’attribuer les compétences qu’elle n’a pas »

Sans aucun doute, cette affaire est encore loin de son épilogue dans cette RDC où une autre bombe judiciaire s’apprête à exploser : la traduction effective devant les tribunaux de Joseph Kabila.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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