RDC : Joseph Kabila convoqué par le Sénat pour une séance de travail sur la levée de son immunité parlementaire


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L'ancien président congolais Joseph Kabila
L'ancien président congolais Joseph Kabila

L’ancien président de la République démocratique du Congo et sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange, est au cœur d’une tempête politico-judiciaire sans précédent depuis son départ du pouvoir en 2019. Le prédécesseur de Félix Tshisekedi est invité par le président du Sénat à se présenter ce mardi à 11 heures.

Dans une correspondance officielle rendue publique ce lundi 19 mai 2025, le président du Sénat, Jean-Michel Sama Lukonde, a convoqué l’ex-chef de l’État à une séance de travail avec la commission spéciale chargée d’examiner le réquisitoire de l’auditeur général près la Haute Cour militaire. Cette dernière sollicite la levée de son immunité parlementaire, préalable indispensable à l’ouverture de poursuites judiciaires pour des faits d’une extrême gravité.

Une convocation aux allures d’ultimatum

La lettre du président du Sénat fixe le rendez-vous au mardi 20 mai 2025 à 11 heures précises, dans la Salle des Conférences internationales du Palais du Peuple à Kinshasa. En cas d’absence de M. Kabila, la commission se réserve le droit de statuer sur son cas sur la base des éléments en sa possession, conformément aux procédures prévues par le règlement intérieur du Sénat.

Composée de 40 membres désignés à huis clos par le bureau de la chambre haute du Parlement, la commission spéciale a été mise en place conformément aux articles 138 point 5 de la Constitution, 196 et 224 du règlement intérieur du Sénat. Elle est présidée par le sénateur Christophe Lutundula, ancien ministre des Affaires étrangères. Elle dispose d’un délai de 72 heures pour entendre les parties concernées – dont l’auditeur général des FARDC – et présenter ses conclusions à l’Assemblée plénière.

Des accusations d’une rare gravité

Le réquisitoire présenté par l’auditorat militaire énumère une série de charges particulièrement lourdes contre Joseph Kabila. Il lui est reproché :

  • La participation à un mouvement insurrectionnel, en l’occurrence le M23, via la prise en charge des communications des insurgés.
  • La trahison, pour avoir entretenu des liens supposés avec une puissance étrangère, en l’occurrence le Rwanda, et le groupe armé AFC/M23, avec pour objectif présumé de déstabiliser les institutions de l’État.
  • La participation à des crimes de guerre, en lien avec les actions du M23 sur le sol congolais, conformément aux articles du Code pénal militaire et de la loi du 31 décembre 2015 réprimant les crimes internationaux.

Ces accusations, si elles étaient retenues, relèveraient de la compétence de la Haute Cour militaire, et non de la Cour de cassation, en raison de la nature des infractions visées, comme le prévoit l’article 120 b du Code de justice militaire.

Un contexte explosif

La demande de levée d’immunité intervient dans un climat politique particulièrement tendu, marqué par la poursuite de la guerre dans l’est du pays, en dépit de tous les processus en cours pour ramener la paix. C’est notamment à la suite de rapports faisant état d’une présence discrète de Joseph Kabila à Goma que le ministre de la Justice a saisi l’auditeur général des Forces armées et le procureur près la Cour de cassation pour demander l’ouverture d’une instruction. Or, cette présence à Goma à l’époque confirmée par des proches de l’ancien Président est aujourd’hui démentie par des membres de son clan.

Le Président Félix Tshisekedi, en conflit larvé avec son prédécesseur depuis plusieurs années, avait déjà évoqué par le passé des preuves tangibles de l’implication de Joseph Kabila dans la résurgence du M23, sans jamais franchir le Rubicon judiciaire. Cette fois, les autorités semblent décidées à aller jusqu’au bout.

Une procédure inédite pour un ancien chef de l’État

La démarche judiciaire entreprise ne s’appuie pas sur la qualité d’ancien président de la République de Joseph Kabila, protégée par une immunité spécifique. Elle repose plutôt sur sa qualité de sénateur à vie, une fonction acquise automatiquement à l’issue de sa présidence. C’est en vertu de cette fonction que le Sénat est appelé à autoriser ou non les poursuites, conformément aux articles 104 et 107 de la Constitution, ainsi qu’aux lois organiques régissant la procédure judiciaire et le statut des anciens chefs de l’État.

Si la levée d’immunité est votée par le Sénat à l’issue des trois jours de travaux, Joseph Kabila pourrait devenir le premier ancien président congolais poursuivi pour trahison et crimes de guerre par la justice militaire.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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