RDC, affaire Bukanga Lonzo : Matata Ponyo Mapon condamné à dix ans de travaux forcés


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Matata Ponyo
L'opposant congolais Matata Ponyo

C’est l’épilogue spectaculaire d’un feuilleton politico-judiciaire qui dure depuis près de quatre ans. Ce mardi 20 mai 2025, la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo a condamné Augustin Matata Ponyo Mapon, ancien Premier ministre sous Joseph Kabila, reconnu coupable de détournement de deniers publics dans le cadre du projet agro-industriel de Bukanga Lonzo.

Dix ans de travaux forcés. Voilà la sentence prononcée, ce mardi, par la Cour constitutionnelle congolaise contre Augustin Matata Ponyo. L’ancien Premier ministre, également ancien ministre des Finances, a été reconnu coupable de détournement de fonds publics destinés à la réalisation du projet agro-industriel de Bukanga Lonzo. Absent à l’audience, Matata Ponyo n’a cessé de dénoncer une instrumentalisation politique de la justice congolaise, qu’il accuse de chercher à l’écarter du jeu politique national.

Une condamnation sans appel

La Cour constitutionnelle, qui siège en premier et dernier ressort, a également condamné l’ancien Premier ministre à cinq ans d’inéligibilité et ordonné son arrestation immédiate, ainsi que la confiscation de ses biens au prorata des sommes détournées. Deux de ses co-accusés – Déogratias Mutombo, ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo, et le Sud-Africain Christo Grobler, patron de la société Africom – ont écopé de cinq ans de travaux forcés chacun.

Selon la haute juridiction, 285 millions de dollars avaient été décaissés pour financer le projet de Bukanga Lonzo, censé devenir un moteur de l’autosuffisance alimentaire dans le pays. Mais au moins 245 millions de dollars ont été détournés, en violation manifeste des règles de passation des marchés, de gestion publique et de transparence.

Le fiasco de Bukanga Lonzo

Lancé entre 2013 et 2016, Bukanga Lonzo devait symboliser la renaissance agricole de la RDC. Ce projet d’envergure nationale visait à transformer un vaste espace en centre agro-industriel moderne, créateur d’emplois, fournisseur de denrées alimentaires locales, et levier contre la pauvreté rurale.

Mais les espoirs ont rapidement laissé place aux soupçons. Dès novembre 2020, un rapport accablant de l’Inspection générale des finances (IGF) a mis en lumière de graves irrégularités : choix arbitraire de partenaires, absence de mécanismes de contrôle, surfacturation, détournements massifs et abandon du chantier. L’IGF a attribué la responsabilité principale à Matata Ponyo, alors Premier ministre.

Immunités et bras de fer institutionnel

Depuis le début de l’affaire, Matata Ponyo a tenté de faire valoir son immunité parlementaire, d’abord en tant que sénateur, puis en tant que député élu en 2023. Mais la Cour constitutionnelle a rejeté cet argument, estimant que son immunité avait été levée avant son élection comme député.

Ce point a néanmoins provoqué des tensions vives entre la haute juridiction et l’Assemblée nationale. Vital Kamerhe, président de cette dernière, a dénoncé dans une correspondance officielle une violation de la Constitution, appelant à une rencontre avec le président de la Cour pour harmoniser les interprétations. En retour, le président de la Cour, Dieudonné Kamuleta Badibanga, a réaffirmé que le pouvoir judiciaire est indépendant et qu’aucune institution ne peut entraver l’exécution d’une décision de justice.

Un procès éminemment politique ?

Pour Matata Ponyo, le dossier est avant tout politique. Dans une vidéo publiée en mars dernier, il dénonçait une instrumentalisation du pouvoir judiciaire pour l’écarter de la scène politique : « Ce dossier, davantage politique que judiciaire, réapparaît à chaque initiative du régime visant à ratisser large. Il a été utilisé pour m’empêcher de créer mon parti, pour dissuader ma candidature à la Présidentielle, et maintenant pour me mettre sous pression en vue d’un éventuel dialogue politique. »

L’ancien Premier ministre a notamment accusé la Cour constitutionnelle d’avoir changé de position depuis 2021. À cette époque, sous la présidence de Dieudonné Kaluba, la Cour s’était déclarée incompétente pour juger un ancien Premier ministre. Dieudonné Kaluba, considéré comme un brillant constitutionnaliste, avait ensuite été évincé de son poste dans des conditions controversées. « Le professeur Kaluba a été chassé de la Cour pour avoir refusé de se plier aux injonctions de la présidence », a affirmé Matata, évoquant une dérive autoritaire du régime congolais.

Une affaire à ramifications multiples

Au-delà du cas Matata, le dossier Bukanga Lonzo cristallise les limites de la gouvernance en RDC. Il illustre la difficulté chronique du pays à concrétiser des projets de développement malgré des ressources importantes, à cause de la corruption, du clientélisme et de l’absence de redevabilité.

La condamnation d’un ancien Premier ministre pourrait être perçue comme un signal fort de la part du pouvoir en matière de lutte contre l’impunité. Mais pour beaucoup, elle soulève surtout la question de la sélectivité de la justice. Pourquoi certains dignitaires de l’ancien régime ou même du régime actuel échappent-ils à toute poursuite ? Pourquoi cette affaire ressurgit-elle à des moments clés de la vie politique congolaise ?

Vers une recomposition du paysage politique ?

Alors que la formation prochaine d’un gouvernement d’union nationale est annoncée depuis plusieurs semaines et que des consultations politiques ont même été organisées pour faciliter cela, certains observateurs estiment que la condamnation de Matata pourrait viser à affaiblir une figure de l’opposition avant d’éventuelles négociations.

En 2023, Matata s’était désisté en faveur de Moïse Katumbi, principal rival du Président Tshisekedi à l’occasion de l’élection présidentielle. Il demeure une voix audible dans le débat politique congolais, notamment via son parti, le Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD). Sa condamnation, si elle est exécutée, l’éloigne durablement de la scène politique. Mais elle ne mettra sans doute pas fin aux polémiques et aux soupçons autour d’un procès qui, malgré sa portée judiciaire, conserve une forte odeur de règlement de comptes politiques.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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