Le plaidoyer de Vital Kamerhe pour une Afrique solidaire face aux guerres et à l’insécurité


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Vital Kamerhe
Vital Kamerhe

À l’occasion de la 3ème Conférence interparlementaire africaine sur les défis mondiaux émergents, tenue le 10 mai à Entebbe (Ouganda), le président de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC), Vital Kamerhe, a pris la parole pour tenir un discours qui mérite bien qu’on s’y attarde quelque peu.

Samedi 10 mai 2025. À Entebbe, ville située à 35 kilomètres de Kampala, la capitale ougandaise, se déroule la 3ème Conférence interparlementaire africaine ouverte la veille, sous le thème : « Famille, souveraineté et valeurs ». C’est l’occasion choisie par Vital Kamerhe pour frapper fort. Dans un vibrant discours, le président de la chambre basse du Parlement congolais s’est donné pour mission de dénoncer la passivité du continent africain face aux crises sécuritaires qui gangrènent plusieurs de ses États. Mais au-delà d’un simple appel à la paix, c’est une réactivation du discours panafricaniste, un appel à la réinvention d’un projet politique commun africain qu’a proposé l’ancien candidat à la Présidentielle congolaise.

Une dénonciation de l’indifférence africaine face aux conflits armés

En pointant les conflits armés en RDC, au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Sud-Soudan, Vital Kamerhe s’en est pris à ce qu’il perçoit comme une anesthésie morale et politique des élites africaines. Sa question — « Comment parler de développement quand la guerre ravage nos peuples ? » — sonne comme un reproche direct à ceux qui, dans les hautes sphères politiques du continent, ferment les yeux sur les crises sécuritaires qui déciment des populations entières et sapent les fondations mêmes des États.

La RDC elle-même, en proie à des violences endémiques dans l’est depuis des décennies, incarne cette faille structurelle de la solidarité africaine. Malgré l’ampleur de la tragédie humanitaire, la réponse des institutions africaines est restée timide, quand elle n’a pas été tout simplement absente.

Un retour aux fondamentaux du panafricanisme ?

En citant explicitement les pères de l’indépendance africaine, Vital Kamerhe convoque une mémoire politique désormais marginalisée dans les discours officiels : celle d’un panafricanisme fondateur, porté par Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Julius Nyerere ou Modibo Keïta, et centré sur l’unité, la souveraineté et la dignité du continent.

Le message est clair : il ne peut y avoir de véritable développement en Afrique sans un socle de sécurité commune et sans une solidarité effective entre États. À rebours de la tendance actuelle à l’isolement stratégique et au chacun pour soi, Kamerhe propose une lecture systémique des conflits : ce qui frappe un pays africain fragilise l’ensemble du continent.

Sécurité, économie, culture : une souveraineté à trois dimensions

Vital Kamerhe articule son plaidoyer autour de trois axes fondamentaux :

  • Sécurité : l’arrêt des conflits est la condition préalable au développement économique. Tant que les armes parleront dans certaines régions, aucun projet d’intégration ou de transformation ne pourra se déployer.
  • Économie : il insiste sur la ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine), qu’il présente comme l’outil par excellence de la souveraineté économique. À ses yeux, la construction d’infrastructures, l’intégration régionale et la valorisation de l’agriculture rurale sont des étapes indispensables pour atteindre l’autosuffisance alimentaire.
  • Culture et identité : Vital Kamerhe élargit son discours au champ symbolique. Il met en garde contre la « diabolisation » des modèles familiaux africains et le déclin des repères culturels, y voyant une autre forme de dépossession. Il appelle ainsi à une reconnexion de la jeunesse africaine avec ses racines, comme fondement de la résilience politique.

Une critique voilée des influences extérieures et des élites prédatrices

Si le discours reste courtois, il comporte une charge implicite contre certains États africains soupçonnés de jouer un rôle dans la déstabilisation de leurs voisins pour des motifs économiques ou géopolitiques. Vital Kamerhe fustige ceux qui veulent « s’enrichir en créant l’instabilité chez les voisins », une formule qui pourrait viser aussi bien des acteurs étatiques que des groupes privés transnationaux complices des pillages ou des trafics dans les zones de guerre.

Ce faisant, le président de l’Assemblée nationale de la RDC réactive une critique classique des rapports néocoloniaux, tout en appelant à une responsabilité endogène des Africains dans la résolution de leurs propres crises. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer les ingérences étrangères, mais aussi de briser les logiques de division et de rivalité entretenues à l’intérieur même du continent.

Un discours, et après ?

Reste à savoir si cet appel trouvera un écho réel au sein des instances africaines. En dépit de l’existence d’outils comme l’Union africaine, la CEDEAO ou la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), la coopération sécuritaire africaine demeure fragmentée, soumise à des logiques de souveraineté nationale ou de rivalités sous-régionales. Par ailleurs, le discours de Kamerhe intervient dans un contexte où certains pays, comme le Mali, le Niger et le Burkina Faso, se détournent des cadres institutionnels africains classiques, privilégiant des axes militaires nouveaux (notamment vers la Russie).

Au total, en réactivant les thèses panafricanistes, Vital Kamerhe se positionne en porteur d’un projet politique continental. Son discours sonne comme un rappel à l’ordre historique : celui d’un continent dont la promesse d’unité et de libération, née dans les années 1960, reste inachevée. Mais pour que cette vision se concrétise, elle devra franchir le seuil du discours pour entrer dans l’action : coordinations diplomatiques renforcées, réponses collectives aux conflits, investissements massifs dans l’intégration économique et culturelle. À défaut, elle risque de rester un élan oratoire de plus, dans un continent qui peine à conjuguer le verbe « unir ».

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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