Agathe Habyarimana et le génocide des Tutsis : la justice française ordonne un non-lieu controversé


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Agathe Habyarimana
Agathe Habyarimana-

La justice française a tranché dans l’un des dossiers les plus sensibles liés au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Deux juges d’instruction parisiens ont prononcé un non-lieu concernant Agathe Habyarimana, veuve de l’ancien Président rwandais Juvénal Habyarimana, dont la mort avait précipité l’une des plus grandes tragédies du XXe siècle. Accusée d’avoir joué un rôle central dans la préparation du génocide, Agathe Habyarimana échappe ainsi à une mise en examen pour « entente en vue de la commission du génocide ». Cette décision, loin de clore le débat, soulève de nombreuses réactions.

Le cœur de l’affaire : un soupçon de complicité dans le génocide

Depuis plus de quinze ans, Agathe Habyarimana est dans le viseur des associations de victimes, des chercheurs et de plusieurs magistrats. Considérée par certains comme l’une des grandes figures de l’akazu, le cercle restreint du pouvoir hutu, elle est soupçonnée d’avoir contribué à la planification du génocide de 1994, qui a coûté la vie à plus de 800 000 personnes, principalement d’ethnie tutsie. Selon le parquet national antiterroriste (PNAT), il existait suffisamment d’éléments pour inculper Agathe Habyarimana.

L’accusation avançait que sa proximité avec les instigateurs du génocide et son influence au sein de l’appareil d’État en faisaient une actrice active, sinon déterminante, des événements. Mais les juges d’instruction ont estimé, dans une ordonnance rendue publique le 21 août, qu’« il n’existe pas de charges suffisantes » pour la renvoyer devant un tribunal. Deux juges d’instruction parisiens ont prononcé un non-lieu concernant la veuve de l’ancien Président rwandais Juvénal Habyarimana.

Les arguments des juges : une absence de preuves concrètes

Dans leur décision, les juges affirment qu’Agathe Habyarimana « apparaît non comme auteure de génocide, mais bien comme une victime » de l’attentat du 6 avril 1994. Ce jour-là, son mari, le Président Juvénal Habyarimana, a été tué dans le crash de son avion, abattu au-dessus de Kigali. Cet attentat a été l’élément déclencheur du génocide. Elle a perdu dans cet événement son époux, son frère et d’autres proches, ce qui, selon les magistrats, l’écarterait d’une implication directe ou indirecte dans un complot génocidaire.

Les juges rappellent également que les preuves rassemblées au fil des années, témoignages, documents d’archives, analyses d’experts, ne permettent pas d’établir avec certitude une participation active d’Agathe Habyarimana à une entente criminelle. Malgré cette ordonnance de non-lieu, le PNAT ne compte pas en rester là. Le parquet a annoncé son intention de faire appel de cette décision. Il dénonce une ordonnance rendue « alors même qu’un recours doit encore être examiné », laissant entendre que le dossier n’était pas clos sur le plan procédural. Une démarche qui montre la détermination du parquet à obtenir un procès, malgré les réticences répétées des juges d’instruction.

Réactions au Rwanda et dans la diaspora rwandaise

Au Rwanda, cette décision suscite la colère et l’incompréhension de nombreuses associations de survivants et de victimes du génocide. Pour elles, Agathe Habyarimana incarne le pouvoir hutu extrémiste qui a planifié et exécuté le massacre. Le fait qu’elle ait vécu en France depuis 1994, protégée de toute poursuite judiciaire, a souvent été perçu comme une injustice flagrante. La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et d’autres ONG ont exprimé leur inquiétude face à ce non-lieu, craignant qu’il ne porte atteinte au processus de justice internationale.

Agathe Habyarimana est, aux yeux de nombreux Rwandais, le symbole d’un pouvoir clanique, autoritaire et ethniquement polarisé. Son influence au sein de l’akazu, selon plusieurs historiens, allait bien au-delà du rôle de Première dame. Or, la justice française, en rendant ce non-lieu, ne nie pas ses relations avec les cercles du pouvoir, mais estime simplement qu’aucune preuve formelle ne peut être retenue à ce stade pour engager sa responsabilité pénale. Une nuance importante, mais difficile à accepter pour les victimes qui attendent justice depuis plus de trente ans.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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