Agathe Habyarimana échappe à la mise en examen : vingt ans d’enquête française sur le génocide rwandais s’achèvent


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Crânes humains au Centre mémorial du génocide de Nyamata.
Crânes humains au Centre mémorial du génocide de Nyamata.

Après près de vingt ans d’enquête, les juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris ont mis fin, sans mise en examen, aux investigations visant Agathe Habyarimana, la veuve de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana. Celle-ci était soupçonnée de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité pour son rôle présumé dans les événements ayant conduit au massacre de près de 800 000 Tutsis et Hutus modérés entre avril et juillet 1994 au Rwanda.

Agathe Habyarimana, ancienne première dame du Rwanda, peut se réjouir de la décision de la justice française la concernant. Elle ressort donc sans mise en examen de la procédure engagée contre elle depuis plusieurs années. Tout récemment, le Parquet national antiterroriste (PNAT) avait introduit une requête visant à mettre en examen l’octogénaire.

Une procédure longue et emblématique

Depuis l’ouverture de l’enquête en 2008, à la suite d’une plainte déposée en 2007 par Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Agathe Habyarimana a vécu sous le statut de témoin assisté. Malgré la pression d’organisations de défense des droits humains et les accusations répétées la présentant comme l’un des piliers de l’« Akazu », ce cercle restreint de proches du régime hutu soupçonné d’avoir planifié le génocide, elle n’a jamais été mise en examen.

Le vendredi 16 mai, la juge d’instruction, en co-saisine avec une collègue spécialisée, a acté la fin de l’information judiciaire. Dans leur ordonnance, elles concluent qu’il « n’existe pas à ce stade d’indices graves et concordants » pouvant relier Agathe Habyarimana à une quelconque participation directe ou indirecte aux crimes perpétrés. Pour la justice française, la veuve du Président apparaît « non comme autrice du génocide, mais bien comme victime » de l’attentat du 6 avril 1994 ayant coûté la vie à son mari et déclenché l’enchaînement sanglant des massacres.

Des accusations fragilisées par des preuves insuffisantes

Les juges fondent leur décision sur une absence d’éléments circonstanciés et une fragilité des témoignages à charge, jugés « contradictoires, incohérents, voire mensongers ». Ils notent par ailleurs que « la rumeur ne peut faire office de preuve », rejetant ainsi toute tentative d’imputation fondée sur la réputation d’Agathe Habyarimana ou son appartenance supposée à l’Akazu. Ils insistent sur le fait qu’aucun discours de haine, aucune trace d’ordres donnés, ni de financement ou de propagande sur les radios génocidaires n’a pu être établi à son encontre. De plus, aucun témoignage ne la relie aux listes de Tutsis ciblés, ni à des actes directs ou indirects de coordination du génocide.

Pour son avocat, Philippe Meilhac, cette décision est un soulagement. « Il est temps que le non-lieu qui s’impose soit prononcé au plus vite », a-t-il déclaré, saluant une « grande sérénité » de sa cliente dans l’attente de l’issue de la procédure. Une audience à huis clos est prévue le 21 mai devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, saisie par le PNAT en septembre dernier, dans le but de faire évoluer le statut juridique de l’ancienne première dame vers un éventuel renvoi devant la justice. Du côté des parties civiles, c’est la consternation. Patrick Baudouin, avocat de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), déplore une décision de non-lieu déguisée. « Des éléments à charge largement suffisants existent, mais ils sont balayés au nom d’une prudence judiciaire excessive », affirme-t-il, soulignant la lenteur de la justice française à traiter les affaires liées au génocide rwandais.

Une présence controversée en France

Installée en France depuis 1998, Agathe Habyarimana y réside sans titre de séjour. Sa demande d’asile a été rejetée, mais les autorités françaises refusent également son extradition vers le Rwanda où elle est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. En 1994, elle avait été exfiltrée du Rwanda avec sa famille à la demande expresse du Président François Mitterrand.

Sa présence en France reste l’objet d’un véritable malaise diplomatique, cristallisant les critiques sur le rôle de Paris pendant le génocide. De nombreuses voix, notamment issues de la société civile et des ONG, s’interrogent : comment expliquer qu’une personne soupçonnée de liens avec les responsables du génocide ait pu, durant plus de deux décennies, échapper à toute procédure judiciaire concluante sur le territoire français ?

Une décision qui relance le débat sur la justice post-génocide

À la lumière de cette décision, c’est toute la question de la capacité des juridictions occidentales à juger les crimes internationaux qui est posée. La lenteur de la procédure, le manque de coopération internationale, la difficulté à rassembler des preuves solides sur des faits vieux de 30 ans et commis à des milliers de kilomètres sont autant d’obstacles à une justice effective.

Si plusieurs procès ont eu lieu en France, dont celui de Pascal Simbikangwa en 2014, celui de Claude Muhayimana en 2021, et plus récemment Laurent Bucyibaruta et Félicien Kabuga, cette nouvelle affaire met une fois de plus en lumière les limites de la justice extraterritoriale en matière de génocide. La décision de la juge d’instruction ne clôt pas encore juridiquement l’affaire : la chambre de l’instruction peut encore ordonner la mise en examen, voire un renvoi devant une juridiction. Mais en l’état, la perspective d’un non-lieu définitif semble désormais l’option la plus probable. Affaire à suivre.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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