Nord-Kivu, violences massives dans les zones occupées par le M23 : un mois de juin sous le signe de l’horreur


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Détresse à Goma
Détresse à Goma (Crédit photo : F. Mahamba)

La province du Nord-Kivu, longtemps meurtrie par les guerres, a une fois de plus été plongées dans un cycle de violences systématiques. Le dernier rapport du bulletin Hebdo GOMA+, publié conjointement par les conseils communaux de la jeunesse de Goma, Nyiragongo et Rutshuru, dresse un bilan effroyable pour la période du 7 juin au 3 juillet 2025 dans les zones sous contrôle de la coalition rebelle AFC/M23.

47 personnes tuées par balles, 75 femmes violées, 14 cas d’enlèvements, 66 pillages et 63 incendies de maisons ! À cela s’ajoutent 25 blessés graves par armes à feu, des arrestations arbitraires, des recrutements forcés et l’occupation illégale de résidences, souvent appartenant à des responsables politiques ou sécuritaires. Voilà le bilan présenté par le rapport. « Ce rapport n’est pas une simple compilation de chiffres. C’est le reflet du désespoir quotidien de milliers de familles abandonnées à leur sort », déplore Jules Ngeleza, membre du conseil provincial de la jeunesse. Et d’ajouter : « Le bulletin Hebdo GOMA+ se veut un outil citoyen pour documenter les abus, alerter l’opinion et nourrir les futures démarches judiciaires ». Pour lui, silence vaut complicité.

Une insécurité banalisée dans les territoires sous contrôle du M23

Les témoignages recueillis par les jeunes rapporteurs dépeignent un climat de peur constante, marqué par des exécutions sommaires, des viols de masse et des actes de représailles ciblées contre des civils soupçonnés de liens avec les FARDC ou les groupes d’autodéfense locaux. Dans la nuit du 3 au 4 juillet, un jeune garçon a été froidement abattu par balles au quartier Bugamba, dans le territoire de Nyiragongo. Quatre femmes ont été blessées dans cette même attaque.

Malgré ces faits, le secrétaire permanent de l’AFC/M23, Benjamin Bonimpa, affirme que la ville de Goma est « entièrement sécurisée » et rejette la responsabilité des meurtres sur des « règlements de comptes entre anciens partenaires commerciaux impliqués dans des activités illicites antérieures à l’arrivée du mouvement ».

Une version largement contestée par les ONG locales et les acteurs humanitaires, qui dénoncent des violences organisées, planifiées, et souvent accompagnées de pillages méthodiques, notamment dans les quartiers de Rutshuru centre, Kibumba, Bunagana ou encore Kiwanja.

Une explosion des crimes de guerre

Depuis janvier 2025, plus de 600 exécutions sommaires, 300 cas de viols documentés, et des dizaines d’enlèvements ont été répertoriés par les agences humanitaires dans les zones tenues par le M23. Les écoles sont massivement fermées, et plus de 7,3 millions de personnes sont déplacées à travers l’est du pays, selon les chiffres du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).

Human Rights Watch a dénoncé, dans un rapport publié le 3 juin dernier, l’exécution de 21 civils à Kasika, dont plusieurs adolescents. La majorité de ces actes sont commis dans un climat d’impunité totale, avec la complicité ou la passivité des forces d’occupation. L’ONG Médecins Sans Frontières signale une explosion des cas de viols, y compris sur mineurs, et un usage accru d’enfants-soldats par le M23. « Nous soignons des enfants de 10 ans blessés par balles ou porteurs de troubles post-traumatiques sévères. C’est une génération entière qui est brisée », témoigne une infirmière de MSF à Goma.

La réponse internationale : entre résolutions et lenteur diplomatique

La résolution 2773 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en février dernier demande un cessez-le-feu immédiat, le retrait des troupes rwandaises, ainsi que la mise en place de corridors humanitaires sécurisés. Mais sur le terrain, son application reste lettre morte.

En parallèle, la Cour pénale internationale (CPI) a rouvert ses enquêtes sur les crimes commis par le M23 entre 2022 et 2025. Un mandat d’arrêt est en préparation contre certains officiers du mouvement, accusés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. L’Union européenne, de son côté, a récemment élargi ses sanctions ciblées contre des individus et sociétés soupçonnés de financer les activités du groupe armé.

Les regards sont désormais tournés vers l’accord de Washington dont la mise en application sincère de part et d’autre pourrait permettre le retour de la paix dans une région trop longtemps martyrisée.

Appels à l’action

Face à l’ampleur des abus, les signataires du rapport GOMA+ lancent un appel pressant à la communauté internationale :

  • Protéger les civils par tous les moyens, y compris via des couloirs humanitaires garantis par des troupes neutres.
  • Appuyer juridiquement les victimes, en constituant des bases de données pour de futures poursuites judiciaires.
  • Mettre fin au double jeu diplomatique, notamment en sanctionnant les pays impliqués dans la déstabilisation du Nord-Kivu.
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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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