Mali : Président ad vitam eternam ?


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Assimi Goïta, président de la Transition du Mali
Assimi Goïta, président de la Transition malienne

Une nouvelle étape vient d’être franchie dans la trajectoire politique du Mali. Le Conseil national de Transition (CNT), réuni ce jeudi 3 juillet 2025 au Centre international de conférences de Bamako, a adopté à l’unanimité la modification de la Charte de transition.

131 voix pour, 0 contre, 0 abstention ! Tel est le résultat sans appel du vote en faveur de la révision de la Charte de la Transition qui accorde au président de la Transition malienne, le général Assimi Goïta, un mandat de cinq ans renouvelables sans limitation. Un véritable quitus institutionnel qui pourrait prolonger son règne jusqu’à 2030, voire au-delà, sans passage par les urnes.

Un vote sans surprise, mais lourd de conséquences

C’est dans une ambiance solennelle que les travaux du CNT ont été dirigés par son président, le général Malick Diaw. Le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Réformes politiques et du Processus électoral, Mamani Nassiré, a porté le projet de loi au nom du gouvernement de transition. Selon lui, cette nouvelle orientation s’impose comme un levier nécessaire pour stabiliser le pays, confronté depuis plus d’une décennie à des insurrections armées, un effondrement de la gouvernance démocratique et une défiance persistante à l’égard des institutions civiles.

Le texte prévoit que le président de la Transition « remplit les fonctions de chef de l’État pour une durée de cinq ans renouvelables autant de fois que nécessaire jusqu’à la pacification du pays ». De plus, il devient désormais éligible aux futures élections présidentielles, tout comme les membres du gouvernement et du CNT, levant ainsi l’interdiction qui pesait sur eux depuis la version précédente de la Charte.

Une Charte renforcée par la Constitution, mais au service de la continuité

La Charte révisée intègre formellement la Constitution du 22 juillet 2023, en établissant la suprématie de cette dernière sur tout autre texte. En cas de contradiction entre la Charte de la Transition et la Constitution, c’est cette dernière qui prévaudra, garantissant une cohérence juridique selon les partisans de la réforme.

Cependant, cette évolution normative cache mal une reconduction de facto du régime militaire au pouvoir, sans échéance électorale définie. Bien que la Charte précise que la transition pourra prendre fin si les conditions requises à l’organisation des élections sont réunies, aucune date précise ni calendrier électoral n’a été fixé.

Vers un mandat sans fin ?

Avec ce vote, Assimi Goïta bénéficie d’un mandat potentiellement illimité, renouvelable autant de fois que nécessaire « jusqu’à la pacification du territoire national ». Or, la sécurité — élément invoqué pour justifier ce maintien — reste une notion subjective et politiquement malléable. Depuis les coups d’État de 2020 et 2021, le Mali est dirigé par une junte qui avait initialement promis un retour au pouvoir civil en 2024. Cette promesse est désormais enterrée et oubliée.

Les opposants dénoncent un alibi sécuritaire utilisé pour justifier un pouvoir sans partage. La réforme du système partisan récemment amorcée par les autorités transitoires, avec la suppression des références aux partis politiques et au M5-RFP dans la Charte, est perçue comme une volonté de museler l’opposition et de reconfigurer le paysage politique malien au profit du pouvoir militaire.

La révision de la Charte s’inscrit également dans une logique d’harmonisation politique avec les autres membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), notamment le Burkina Faso et le Niger, également dirigés par des régimes militaires. La durée de cinq ans renouvelables pour les transitions est désormais une norme implicite dans cette confédération.

Une société divisée entre soutien à la stabilité et crainte de dérive autoritaire

Si plusieurs voix au sein des institutions et de la société civile ont salué le vote du CNT comme un acte de souveraineté et de consolidation du leadership national, d’autres y voient le glissement progressif vers une présidence à vie déguisée. Le général Goïta devient ainsi un Président à la légitimité institutionnelle renforcée, mais à l’ancrage démocratique toujours aussi fragile.

Les militants des droits humains, certaines organisations de la diaspora, et des personnalités politiques maliennes redoutent un verrouillage du système politique et un plus grand recul démocratique. Avec cette révision de la Charte de la Transition, le Mali entre dans une nouvelle ère institutionnelle où les lignes entre pouvoir de transition et régime pérenne semblent de plus en plus floues. La transition, censée être une phase temporaire vers le retour à l’ordre constitutionnel, semble se transformer en un régime stable sans contrôle électoral clair.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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