Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara, la promesse trahie d’un renouveau démocratique


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Alassane Ouattara
Alassane Ouattara, Président de la Côte d'Ivoire

En 2020, Alassane Ouattara, alors président de la République de Côte d’Ivoire, avait annoncé avec emphase son intention de passer la main à une nouvelle génération. Cet engagement, salué à l’époque comme un signe d’apaisement et de maturité politique, avait laissé espérer l’émergence d’un nouveau souffle démocratique, loin des figures historiques aux parcours controversés. Cinq ans plus tard, à l’approche de la Présidentielle du 25 octobre 2025, le paysage politique ivoirien nous renvoie un tout autre visage : celui d’un pouvoir verrouillé, d’une démocratie confisquée, et d’un Président sortant prêt à braver toutes les limites pour s’accrocher à son fauteuil.

Une stratégie d’élimination politique méthodique

La décision du Conseil constitutionnel d’écarter deux des principaux poids lourds de l’opposition, l’ancien Président Laurent Gbagbo et l’ex-banquier international Tidjane Thiam, n’a surpris que par la rapidité de son exécution. Le verdict était en réalité déjà écrit, tant les signaux précurseurs de cette manœuvre s’étaient multipliés au fil des mois. Gbagbo, malgré son acquittement par la Cour pénale internationale et une amnistie présidentielle, est jugé inéligible pour une ancienne condamnation dans l’affaire du braquage de la BCEAO.

Une procédure juridico-politique aux allures de vendetta. Quant à Thiam, l’argument de la double nationalité est venu sceller son exclusion, alors même que ses efforts pour régulariser sa situation électorale ont été systématiquement rejetés. Cette double disqualification a pour effet immédiat d’évacuer toute réelle compétition politique. En les écartant, Ouattara ne supprime pas seulement deux concurrents redoutables ; il prive aussi les Ivoiriens de choix significatifs dans les urnes. La diversité démocratique se voit réduite à une vitrine. Le pluralisme, élément fondamental de toute démocratie vivante, est ici vidé de sa substance.

Un quatrième mandat qui défie la promesse et la raison

En 2020, c’est au nom de la stabilité que Ouattara avait justifié son revirement : la mort soudaine d’Amadou Gon Coulibaly, son dauphin désigné, l’aurait poussé à « répondre à l’appel du devoir ». Cette justification conjoncturelle pouvait être entendue comme un sacrifice personnel pour éviter le chaos. Mais en 2025, il ne peut y avoir d’excuse. Le quatrième mandat qu’il brigue aujourd’hui sonne comme une trahison de sa propre parole et un reniement de ses principes affichés. À 83 ans, Ouattara aurait pu sortir par la grande porte, en légataire d’une nation apaisée. Il a préféré entrer dans l’histoire par la petite, celle des Présidents incapables de lâcher le pouvoir.

Pire encore : en éliminant ses adversaires par des voies administratives, judiciaires ou institutionnelles, il reproduit, avec une ironie tragique, les pratiques qu’il avait lui-même dénoncées lorsqu’il était dans l’opposition. La boucle est bouclée, mais pas celle de la transition démocratique ; celle d’un cycle de confiscation du pouvoir par des élites vieillissantes, sclérosées, arc-boutées sur leurs privilèges.

Des adversaires « autorisés », mais pas menaçants

Le Conseil constitutionnel a validé cinq candidatures. Mais force est de constater que celles-ci ne font pas le poids face au Président sortant. Jean-Louis Billon, pourtant cadre du PDCI, est un candidat sans véritable appareil. Simone Gbagbo, ancienne Première dame, a vu sa candidature validée alors même que son mari, ancien Président, a été écarté. Une incongruité juridique qui interroge : comment l’épouse peut-elle être éligible alors que le mari, acquitté par la CPI, ne l’est pas ? L’un aurait porté atteinte à l’ordre public, mais l’autre serait une candidate « légitime » ?

L’incohérence frise l’absurde et laisse soupçonner une logique purement opportuniste : tolérer les candidatures inoffensives pour donner un vernis démocratique à un scrutin verrouillé. Ahoua Don Mello et Henriette Lagou, quant à eux, incarnent des figures périphériques. Leur capacité à mobiliser l’électorat au niveau national est, au mieux, marginale. Ce casting de candidats soigneusement sélectionnés semble taillé sur mesure pour assurer une réélection sans heurts au Président sortant.

Une démocratie de façade

Ce qui se joue en Côte d’Ivoire aujourd’hui, dépasse largement le cadre d’une simple élection. C’est la crédibilité de l’État de droit, la confiance des citoyens dans leurs institutions, et l’avenir politique du pays. En affaiblissant l’opposition à coups de procédures techniques et de décisions judiciaires opaques, le pouvoir actuel désarme toute alternance crédible. Et cela, dans un pays où l’histoire récente est marquée par des violences post-électorales meurtrières.

À l’horizon de ce scrutin, les risques sont clairs : une campagne tendue, une contestation électorale virulente, et une démocratie à bout de souffle. À l’échelle internationale, le cas ivoirien est de plus en plus perçu comme un recul, un signal inquiétant pour les autres nations africaines en quête de renouveau politique. L’Union africaine, la CEDEAO, ou encore les partenaires occidentaux ne peuvent plus se contenter de discours diplomatiques tièdes. Le silence, dans ce contexte, serait une forme de complicité.

L’urgence d’un sursaut

À l’heure où la jeunesse ivoirienne aspire à un avenir différent, à une politique débarrassée des figures du passé, Alassane Ouattara semble faire le pari inverse : celui d’un retour à une Présidence hégémonique, centralisée, verticale. Cette vision, profondément rétrograde, risque non seulement d’attiser les tensions, mais aussi de fragiliser les fondements mêmes de l’État. Le renouveau tant promis en 2020 n’aura été qu’un leurre.

En 2025, la Côte d’Ivoire se retrouve à la croisée des chemins : entre la tentation autoritaire et la volonté populaire. À Ouattara de choisir. Mais qu’il sache que l’Histoire ne retient pas les calculateurs habiles, elle honore les bâtisseurs de démocratie.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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