Présidentielle 2025 : Alassane Ouattara jouera-t-il vraiment le jeu démocratique avec l’Union africaine ?


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Alassane Ouattara
Alassane Ouattara, Président de la Côte d'Ivoire

La visite, en ce mois de juin, d’une mission de haut niveau de l’Union africaine (UA) à Abidjan vise à contribuer à un climat apaisé en vue de l’élection présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. Une initiative saluée officiellement par le président Alassane Ouattara, qui a affirmé être disposé à « tout faire » pour que le scrutin se tienne dans « de bonnes conditions ». Mais derrière cette façade diplomatique et ces sourires protocolaires, une question primordiale reste en suspens : Ouattara est-il sincèrement prêt à jouer la transparence et à accepter une implication réelle de l’Union africaine, alors même qu’il semble vouloir verrouiller la compétition électorale en excluant certains acteurs majeurs de la scène politique ?

Depuis plusieurs années, le Président ivoirien, Alassane Ouattara, joue une partition ambivalente. D’un côté, il se présente comme le garant de la stabilité ivoirienne et de la continuité institutionnelle, un rôle que lui reconnaissent volontiers ses partenaires occidentaux et certaines institutions africaines. De l’autre, il est accusé de saper les bases mêmes de cette stabilité en excluant délibérément des figures politiques incontournables, à commencer par Laurent Gbagbo et, plus récemment, Tidjane Thiam.

Le double discours présidentiel

Le premier, ancien président de la République, acquitté par la Cour pénale internationale, se voit toujours marginalisé et empêché de se présenter librement aux élections. Son parti, le PPA-CI, fait l’objet d’une surveillance constante, tandis que les conditions de son éligibilité restent floues. Le second, Tidjane Thiam du PDCI-RDA, technocrate de renommée internationale et potentiel rassembleur, voit son ascension entravée par un climat politique fermé, où toute alternative crédible semble déranger.

Cette politique de l’exclusion orchestrée par le pouvoir en place vient sérieusement entacher les belles promesses d’une élection « libre, transparente et inclusive ». L’implication de l’Union africaine dans le processus électoral ne peut être crédible que si elle est accompagnée d’un engagement ferme des autorités à respecter le pluralisme politique – ce qui, à ce stade, demeure une promesse en l’air.

Un enjeu régional déguisé en affaire nationale

Saleh Annadif Mahamat, chef de la délégation de l’UA et ancien ministre tchadien, a eu des mots forts : « Si la Côte d’Ivoire éternue, c’est toute la région qui risque d’être enrhumée ». Une manière élégante de rappeler que l’enjeu de l’élection ivoirienne dépasse largement les frontières nationales. Dans une Afrique de l’Ouest secouée par les coups d’État, les transitions militaires et les tensions politiques, la stabilité de la Côte d’Ivoire fait figure de digue fragile.

Mais cette stabilité ne peut être confondue avec la stagnation démocratique. Elle ne peut être obtenue par la mise à l’écart de voix dissidentes, ni par l’orchestration d’un simulacre électoral dans lequel les dés sont pipés d’avance. L’Union africaine, en exprimant son souhait d’accompagner le processus, assume une responsabilité importante. Elle ne doit pas se contenter de bénir un processus verrouillé, mais exiger des garanties concrètes : transparence dans la constitution de la Commission électorale indépendante (CEI), équité dans l’accès aux médias publics, sécurité des candidats, et surtout, respect du droit à concourir pour tous les acteurs politiques.

Ouattara et l’Union africaine : une confiance de façade

La question que de nombreux observateurs se posent, à Abidjan comme à Addis-Abeba, est la suivante : Ouattara acceptera-t-il réellement que l’Union africaine ait un rôle actif et impartial dans l’élection ? Rien n’est moins sûr. En 2020 déjà, les inquiétudes étaient nombreuses quant à la modification de la Constitution pour permettre un troisième mandat controversé. L’UA, trop timorée, n’avait alors émis que des remarques prudentes, sans véritablement s’opposer à cette manœuvre.

Aujourd’hui, le risque est que le scénario se répète : une implication superficielle de l’organisation panafricaine, accompagnée d’un discours de façade du pouvoir ivoirien. Pourtant, cette fois-ci, l’enjeu est encore plus grand. Car si le Président sortant cherche à organiser une Présidentielle à sa main, sans véritable opposition, la légitimité du prochain mandat, quel qu’en soit l’occupant, sera profondément contestée. Et le pays tout entier, à nouveau, pourrait plonger dans une spirale de tensions.

Un choix historique à faire

Alassane Ouattara, à 83 ans, joue sans doute l’un des derniers actes de sa carrière politique. Il lui revient de choisir entre une sortie digne, où il incarnera l’homme d’État respectueux du jeu démocratique, et une fin de règne marquée par le soupçon, l’exclusion et la crispation. L’histoire retiendra, inévitablement. Quant à l’Union africaine, sa mission en Côte d’Ivoire ne saurait se limiter à une visite protocolaire. Elle doit poser des exigences claires, suivre de près le processus, et alerter en cas de dérive.

L’Afrique ne peut plus se permettre des élections truquées dans le silence complice de ses institutions. En définitive, une présidentielle apaisée en 2025 ne pourra avoir lieu que si le jeu est ouvert. Et cela passe par une question simple mais déterminante : le Président Alassane Ouattara acceptera-t-il vraiment de jouer selon les règles démocratiques, ou cherchera-t-il, une fois de plus, à les réécrire à son avantage ? L’avenir nous en dira davantage.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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