
La politique sénégalaise semble être prise dans une boucle historique. À travers les décennies, les tensions au sommet de l’État reproduisent des schémas connus, où ambitions personnelles, divergences idéologiques et calculs politiques alimentent les crises. Aujourd’hui, les relations entre le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko rappellent de manière troublante la crise de 1962 entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. D’où une question : le Sénégal est-il condamné à revivre les mêmes conflits d’ego au détriment de la stabilité démocratique ?
L’histoire politique du Sénégal a connu l’un de ses tournants importants en décembre 1962. Mamadou Dia, Premier ministre respecté, défenseur d’une ligne socialiste rigoureuse, entre en conflit ouvert avec le président Léopold Sédar Senghor. Cette querelle idéologique, aggravée par des désaccords institutionnels sur la répartition des pouvoirs, dégénère en une crise majeure. Accusé de tentative de coup d’État, Mamadou Dia est arrêté, jugé et emprisonné. Cet épisode marque la fin du régime parlementaire bicéphale et consacre la suprématie du président de la République. Senghor en sort renforcé, tandis que Dia est relégué aux marges de l’histoire.
2025 : un nouveau duo sous tension
Plus de soixante ans plus tard, le Sénégal se retrouve avec un pouvoir exécutif de nouveau partagé entre deux figures fortes : Bassirou Diomaye Faye à la Présidence, et Ousmane Sonko, chef de file du projet, à la Primature. Pourtant, ce tandem, né d’une alliance électorale victorieuse face au pouvoir sortant, montre rapidement des signes de tensions internes. Les différences de ton, de méthode et peut-être de vision entre les deux hommes sont palpables.
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Diomaye Faye incarne la prudence, la diplomatie, le souci d’apaisement dans un pays encore marqué par des années de contestation sociale et de répression politique. Face à lui, Ousmane Sonko, charismatique et combattu, poursuit son discours combatif, parfois clivant, appelant à une rupture radicale avec le système. Deux postures, deux rythmes, deux ambitions, qui semblent difficilement conciliables sur le long terme.
Un parallèle instructif, mais à relativiser
Certains analystes, comme Yoro Dia, n’hésitent pas à établir un parallèle direct entre la situation actuelle et celle de 1962. Il est vrai que la configuration institutionnelle, avec un Premier ministre au rôle renforcé et un président encore jeune politiquement, peut raviver le souvenir de cette rivalité historique. Comme Mamadou Dia, Ousmane Sonko dispose d’un socle idéologique fort, d’un ancrage populaire solide et d’une volonté de changement profond. Comme Senghor, Diomaye Faye pourrait être tenté de consolider son autorité face à un partenaire de plus en plus encombrant.
Cependant, les contextes ne sont pas identiques. En 1962, le Sénégal était un jeune État à peine sorti de la colonisation, tâtonnant dans son organisation institutionnelle. Aujourd’hui, les institutions sont plus établies, les contre-pouvoirs, même affaiblis, existent, et la société civile est plus vigilante. De plus, le duo Diomaye-Sonko est issu d’un même mouvement politique, né dans la lutte contre l’ancien régime. Leur rupture, si elle devait survenir, ne serait pas seulement une affaire d’hommes, mais aussi celle d’un projet politique partagé qui échoue à se matérialiser dans l’unité.
Des leçons à tirer pour l’avenir
Le parallèle avec les tensions entre Chirac et Giscard, en France, dans les années 1970, montre que ce type de cohabitation conflictuelle n’est pas propre à l’Afrique. Partout où les ambitions politiques croisent les failles institutionnelles, le risque de dérapage est réel. Ce qui importe, c’est la maturité avec laquelle les acteurs politiques parviennent à gérer ces tensions. Le Sénégal, considéré comme un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, a aujourd’hui l’occasion de démontrer que les leçons de l’histoire ont été retenues.
Il ne s’agit pas de rejouer 1962, mais de montrer qu’un désaccord au sommet de l’État peut se gérer sans drame, dans le respect des institutions et au service du peuple. Si Sonko et Diomaye veulent éviter de devenir les nouveaux Dia et Senghor, ils doivent rapidement clarifier leurs rapports, fixer les limites de leurs prérogatives et, surtout, remettre au centre du jeu le projet politique pour lequel ils ont été élus. Car l’histoire, si elle bégaie, peut aussi servir de boussole, à condition de savoir l’écouter.