Sénégal : la dérive répressive d’un pouvoir qui s’annonçait révolutionnaire


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Ousmane Sonlo, Premier ministre du Sénégal
Ousmane Sonlo, Premier ministre du Sénégal

L’arrivée au pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye, avec Ousmane Sonko comme Premier ministre, a été saluée comme une victoire du peuple contre l’establishment politique traditionnel. Portés par un discours de rupture, les nouveaux dirigeants ont promis une gouvernance transparente, une justice équitable et une démocratie renforcée. Mais à peine installée, l’équipe gouvernementale semble prendre un chemin périlleux. Ce qui devait être un souffle nouveau pour le Sénégal vire lentement à un climat d’inquiétude, où les voix discordantes sont muselées, la critique systématiquement assimilée à la trahison, et la liberté d’expression de plus en plus menacée.

La justice, nouvelle arme du pouvoir exécutif

La tentation autoritaire est-elle en train de supplanter l’idéal de justice et de liberté tant proclamé durant la campagne électorale ? La trajectoire du Premier ministre Ousmane Sonko, jadis figure emblématique de la contestation, est marquée d’un paradoxe saisissant. Celui qui fut la cible de nombreuses poursuites judiciaires sous l’ancien régime semble désormais user des mêmes leviers pour faire taire ses adversaires. Depuis la formation du nouveau gouvernement, plusieurs voix critiques, journalistes, activistes, intellectuels ou opposants politiques, font l’objet de pressions judiciaires répétées.

Le glissement est d’autant plus inquiétant que la justice sénégalaise, loin de s’affirmer comme un contre-pouvoir indépendant, donne le sentiment de se mettre au service d’une stratégie politique visant à neutraliser toute forme de dissidence. Des procédures pour « atteinte à la sûreté de l’État », « propagation de fausses nouvelles » ou encore « outrage à institutions » deviennent des instruments commodes pour intimider et faire taire.

Journalistes et activistes dans le viseur

Le journalisme d’enquête et les médias indépendants, autrefois considérés comme un pilier de la démocratie sénégalaise, subissent de plein fouet cette régression. Des arrestations arbitraires, des interrogatoires à répétition, des menaces à peine voilées contre des organes de presse ou des journalistes connus pour leur indépendance : tout semble indiquer une volonté de verrouiller l’espace médiatique.

L’exemple du traitement réservé à certains activistes sur les réseaux sociaux est également révélateur. Des citoyens ordinaires, pour avoir exprimé un désaccord ou formulé des critiques sur la politique du gouvernement, se retrouvent interpellés, menacés ou poursuivis. Ce climat d’intimidation judiciaire installe progressivement un réflexe d’autocensure, bien plus insidieux encore que la censure officielle.

Un discours gouvernemental de plus en plus agressif

À cette stratégie judiciaire s’ajoute une rhétorique politique de plus en plus virulente. Ousmane Sonko, qui fut un tribun de la liberté, n’hésite plus à dénoncer publiquement ceux qui s’opposent à lui comme étant des « saboteurs », des « ennemis de la nation », voire des « reliquats de l’ancien régime ». Une manière dangereuse de diaboliser toute critique, de la délégitimer au nom d’une unité nationale construite sur l’adhésion inconditionnelle au pouvoir.

Ce type de discours ne fait qu’alimenter une polarisation déjà inquiétante de la société sénégalaise. Il creuse le fossé entre les partisans enthousiastes du nouveau pouvoir et ceux qui, sans être nécessairement hostiles, posent des questions légitimes sur l’action du gouvernement. Dans une démocratie saine, la critique est un droit, voire un devoir ; dans un régime autoritaire, elle devient un crime.

Le paradoxe Sonko : de l’icône à la contradiction

Il y a une profonde ironie dans la posture actuelle du Premier ministre. Celui qui a bâti sa légitimité sur la dénonciation de l’injustice, des atteintes à la liberté et des pratiques liberticides du régime précédent, semble aujourd’hui s’inscrire dans une logique similaire. Ce revirement soulève une question fondamentale : Ousmane Sonko croyait-il réellement aux principes démocratiques qu’il proclamait, ou les utilisait-il uniquement comme des leviers pour accéder au pouvoir ?

La transition démocratique ne se résume pas à un changement de visages ou de partis. Elle implique une transformation en profondeur des pratiques institutionnelles, du rapport au pouvoir, du respect des libertés fondamentales. Si Sonko et son gouvernement continuent sur cette voie répressive, ils risquent de perdre ce qui faisait la force et la beauté de leur combat initial : l’espoir d’un Sénégal plus libre, plus juste, plus inclusif.

Une menace pour la cohésion nationale

Au-delà des enjeux politiques, c’est l’ensemble du tissu social sénégalais qui est fragilisé par cette dérive. L’instauration d’un climat de peur, la criminalisation de la parole publique et la division entre « bons citoyens » et « traîtres à la nation » risquent d’installer une méfiance durable au sein de la société. La démocratie sénégalaise, souvent citée en exemple sur le continent, est aujourd’hui en zone de turbulence.

Il est encore temps pour le gouvernement de rectifier le tir, de renouer avec l’esprit d’ouverture et de dialogue, de garantir la protection des libertés fondamentales sans lesquelles aucune réforme, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourra s’inscrire dans la durée.

Une responsabilité face à l’histoire

L’histoire retiendra que le peuple sénégalais a accordé sa confiance à une nouvelle génération de dirigeants dans l’espoir d’un changement profond, pas d’un simple changement de posture. Le pouvoir en place a désormais une responsabilité face à l’histoire : celle de montrer que l’on peut gouverner avec fermeté sans dérive autoritaire, que l’on peut bâtir une nation forte sans piétiner les libertés, que la démocratie n’est pas un obstacle à l’action, mais son socle le plus solide.

Car une chose est sûre : le peuple sénégalais, qui a su imposer l’alternance au prix de grandes luttes, ne renoncera jamais à sa liberté. Ni aujourd’hui, ni demain.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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