Sénégal : Comment réussir l’indépendance de la justice ?


Lecture 6 min.
arton60611

Le Sénégal enchaine les grosses affaires judiciaires sensibles et le moins que l’on puisse dire est que les Sénégalais ont de bonnes raisons de douter de l’indépendance de leur appareil judiciaire

Dans son article, Fangnariga YEO, ne s’appesantit pas sur les critiques mais fait 5 propositions bien concrètes, détaillées et contextualisées pour améliorer l’indépendance de la justice. Selon lui, l’indépendance de la justice est possible. L’auteur suggère des voies mais encore faut-il la volonté de le faire !

Le Sénégal a été secoué par l’affaire politico-judiciaire Karim Wade et continue de l’être par celle du député maire de Dakar, Khalifa Sall. Dans ces affaires, certains observateurs de la scène politique pointent du doigt une justice aux ordres du politique. La faiblesse de la justice sénégalaise est confirmée puisque le pays perd trois places pour reculer à la 49ème place (sur 113 pays) dans l’indice de l’état de droit publié par le World Justice Project. Comment peut-on améliorer l’état de la justice au Sénégal en renforçant son indépendance?

Une sélection démocratique

La séparation des pouvoirs voudrait que la justice soit indépendante vis-à-vis des autres et surtout de l’Exécutif qui demeure le plus tenté de la contrôler. Pour ce faire, il convient d’initier une réforme structurelle de la justice sénégalaise. Ainsi, les membres du Conseil constitutionnel, de la Cour suprême, de la Cour des comptes, de la Haute Cour de Justice, des Cours d’appel et les hauts magistrats devraient être élus par un collège de grands électeurs composé des représentants des composantes de la société : les syndicats, les organisations non gouvernementales, les magistrats, les politiques et les élus locaux de chaque région du pays. Ne devraient être éligibles que les magistrats ayant une expérience avérée, jouissant d’une bonne renommée et qui adhèrent aux normes, principes et déontologie de la justice. Cela permettrait aux magistrats élus d’être plus indépendants car ils auraient obtenu leurs postes grâce à un mérite reconnu. Ce qui serait une source d’incitation positive des magistrats à travailler avec probité dans la perspective de siéger un jour dans ces grandes institutions juridiques. Cette indépendance devrait être constitutionnalisée et sauvegardée par des lois qui définissent clairement le champ d’intervention des hauts magistrats, leurs prérogatives et des mécanismes de protection de leur intégrité physique contre les menaces, les chantages, les intimidations et harcèlements de tout ordre. Ces mécanismes de protection pourraient être élargis aux membres de leurs familles les plus proches.

Une gouvernance juste

La gouvernance judiciaire devrait être aussi améliorée. Ainsi, la réforme pourrait définir de façon claire et précise le profil de carrière des magistrats tout en précisant les modalités de promotions explicitement définies et connues de tous. Ces modalités devront demeurer le plus objectif possible afin de soustraire les magistrats à la pression des politiques, militaires et des pouvoirs d’ordre financier et confessionnel. Dès lors, les promotions des magistrats devront se faire sur la base du mérite et l’équité en bannissant tout favoritisme. Des indicateurs objectifs devront être définis afin d’instaurer la culture du résultat et de l’efficacité. La rémunération des magistrats ainsi que leurs conditions de travail pourront être aussi améliorées afin de réduire totalement le risque de la tentation de la corruption. La grille de rémunération devrait être revue à la hausse dans une bonne proportion permettant aux magistrats d’être non seulement à l’abri du besoin mais surtout des hameçons pouvant les empêcher de bien remplir leurs fonctions.

Une évaluation impartiale

Pour prévenir les abus de pouvoir de ces hauts magistrats, il est nécessaire de créer un haut conseil juridictionnel composé essentiellement d’anciens membres du Conseil constitutionnel, de la Cour suprême, de la Cour des comptes, de la Haute Cour de Justice et des Cours d’appel. Les membres du haut conseil juridictionnel devront être élus dans les mêmes conditions que les hauts magistrats du pays pour gagner son indépendance vis-à-vis des politiques, militaires et des pouvoirs d’ordre financier et confessionnel. Son rôle serait de veiller à ce que les magistrats aient une conduite conforme à l’éthique et à la déontologie de leur métier, observer l’efficacité des mécanismes de protection des hauts magistrats et veiller à la non annexion du champ judiciaire par les politiques, militaires et les pouvoirs d’ordre financier et confessionnel. Ses décisions ne devront pas remettre en cause les décisions judiciaires rendues mais devront porter sur l’exemplarité des magistrats, leur probité et le jugement des affaires en toute indépendance. Etant la justice de la justice, il devra se prononcer sur les cas de magistrats ayant failli ou commis de graves manquements. Quant aux magistrats qui se rendraient coupables d’une corruption avérée ; ils devront être radiés. Car, selon le professeur Garcassone, juriste et spécialiste du Droit constitutionnel : « l’indépendance est la première dette de la justice ».

Une formation sacralisant l’indépendance

Dans l’optique du renforcement de l’indépendance de la justice, la formation des magistrats demeure un pilier incontournable. En effet, il est nécessaire de renforcer la formation afin que dès l’école, les magistrats s’attachent totalement à la loi. Pour y arriver, les règles de la formation devraient évoluer de manière à valoriser davantage l’indépendance de la justice et en faire une norme sacrosainte. De plus, les valeurs d’équité, d’impartialité et d’intégrité devront être inscrites au nombre des normes sacrosaintes du magistrat. Dès l’école, les magistrats devraient s’approprier ces normes et en faire leur credo.

Et enfin, réhabiliter l’état de droit

L’indépendance de la justice exige de renforcer l’état de droit. Cela passe par la primauté de la loi, la répression des tentatives d’annexion du champ judiciaire (surtout par les politiques) et l’adhésion des citoyens à l’état de droit. A cet effet, il serait important de prévoir des sanctions à l’encontre de toute personne qui tenterait d’annexer le champ judiciaire ou d’influencer un magistrat. Dans le cas du chef de l’Etat, la sanction devrait pouvoir conduire jusqu’à sa destitution. Les médias et la société civile devraient jouer un rôle majeur à ce niveau. Il faudrait leur permettre de contrôler l’action des magistrats et de dénoncer tous les abus ou manquements. Une constitutionnalisation de leur rôle de contre-pouvoir pourrait renforcer leur zèle et les mettre à l’abri de toute menace, violence et intimidation.

Bref, si l’adhésion des politiques à la réforme de la justice sénégalaise est nécessaire, il n’en demeure pas moins que l’adhésion des magistrats aux principes qui consacrent l’indépendance de la justice est impérative. Car lorsqu’une personne a une âme servile, quelle que soit l’indépendance consacrée par les lois, elle continuera de ramper comme un ver de terre.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News