
Les ennuis judiciaires du ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, ne sont pas passés inaperçus au Rwanda. Bien au contraire, ils suscitent une jubilation à peine voilée du côté de Kigali, où les tensions diplomatiques avec Kinshasa sont toujours vives. En première ligne de cette réaction, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe, n’a pas hésité à se réjouir publiquement de ce revers politique, en y voyant une forme de justice immanente.
À Kigali, la chute brutale du sémillant ministre de la Justice congolais, Constant Mutamba, est devenue une affaire d’État.
La vidéo du boomerang
C’est une vidéo datant de janvier 2025 qui a remis le feu aux poudres. On y voit Constant Mutamba, alors auréolé de son récent portefeuille à la Justice, lancer d’un ton ferme : « La peine de mort sera appliquée à tout détourneur de fonds publics ». Un message percutant, censé incarner la volonté de rupture d’un pouvoir congolais en quête de légitimité éthique et politique face à la corruption endémique.
Mais à la lumière des investigations ouvertes contre le ministre de la Justice lui-même pour des soupçons de détournement de fonds publics, cette déclaration prend aujourd’hui un tout autre relief. Elle a resurgi ces derniers jours sur les réseaux sociaux, alimentant les commentaires ironiques et les critiques virulentes.
Parmi les réactions les plus remarquées figure celle d’Olivier Nduhungirehe, chef de la diplomatie rwandaise, qui a partagé la vidéo avec un commentaire laconique mais acéré : « La loi du karma ». Une manière directe de souligner ce qu’il considère comme un retour de bâton inévitable.
Une revanche politique assumée
Le ton employé par Olivier Nduhungirehe n’a rien d’anodin. Il va au-delà de la moquerie personnelle et prend des allures de règlement de comptes diplomatiques. « Quand l’excès de populisme, de xénophobie, d’idéologie du génocide et de haine anti-Rwanda vous reviennent dans la figure en boomerang ! », a tweeté le Rwandais.
Constant Mutamba est, en effet, connu pour ses prises de position musclées contre Kigali. Depuis son arrivée au gouvernement, il a multiplié les déclarations hostiles au Rwanda, accusant celui ci de soutenir les rebelles du M23 dans l’Est de la RDC et d’alimenter l’instabilité dans la région. Pour Kigali, le garde des Sceaux congolais incarne une ligne dure à Kinshasa, perçue comme nuisible aux relations bilatérales.
Dans ce contexte, la mise en cause du ministre congolais est accueillie par certains responsables rwandais comme une forme de déchéance méritée. En filigrane, c’est toute une posture politique que Kigali espère voir affaiblie, celle d’un nationalisme congolais exacerbé souvent dirigé contre le Rwanda.
Un épisode révélateur d’un climat régional délétère
Au-delà du cas Mutamba, cette séquence s’inscrit dans une dynamique géopolitique plus large. Depuis des années, les relations entre la RDC et le Rwanda sont marquées par une profonde défiance. Les accusations de soutien aux groupes armés se multiplient de part et d’autre, tandis que les tensions militaires dans l’est congolais continuent d’alimenter les hostilités.
Dans ce contexte, chaque revers subi par une figure jugée « hostile » devient un point symbolique pour l’adversaire. L’enthousiasme affiché par Kigali à l’égard des difficultés du ministre congolais de la Justice en est une illustration frappante.
Mais cette réaction traduit aussi une guerre d’image. En se moquant d’un ministre congolais accusé de corruption alors qu’il prônait la peine capitale contre les corrompus, Kigali entend souligner l’hypocrisie du discours moral tenu à Kinshasa. Une manière subtile de décrédibiliser le pouvoir congolais sur la scène internationale, où il plaide pour une gouvernance intègre et une lutte implacable contre la corruption.
Une affaire judiciaire au parfum diplomatique
L’affaire Constant Mutamba dépasse désormais le simple cadre judiciaire. Elle devient un objet de rivalité diplomatique, révélateur des tensions structurelles entre deux pays au cœur des enjeux sécuritaires de la région des Grands Lacs.
Tandis que la justice congolaise poursuit ses investigations, la récupération politique de cette affaire à l’étranger, et en particulier au Rwanda, démontre à quel point la justice et la diplomatie sont désormais imbriquées. Chaque incident, chaque déclaration, chaque chute individuelle peut se transformer en événement stratégique. En RDC comme au Rwanda, les mots ont une mémoire longue. Et dans cette région où les inimitiés sont profondes, le malheur de l’un fait souvent le bonheur de l’autre.