
La mort en détention du blogueur kényan Albert Ojwang, deux jours après son arrestation, a déclenché une vague de manifestations dans tout le pays. Tandis que les ONG dénoncent un système sécuritaire impuni, le chef adjoint de la police, Eliud Lagat, a été contraint de démissionner.
Le Kenya est en proie à une nouvelle crise politique et sociale après la mort, jugée suspecte, du blogueur Albert Ojwang alors qu’il était en garde à vue. Arrêté le 6 juin pour avoir publié sur les réseaux sociaux des accusations de corruption visant le chef adjoint de la police, Eliud Lagat, le jeune homme de 28 ans a été retrouvé mort 48 heures plus tard dans une cellule du commissariat central de Nairobi.
La version officielle évoque un « accident » : Ojwang se serait « cogné la tête contre un mur ». Mais cette explication a volé en éclats dès la publication d’une autopsie indépendante, révélant un traumatisme crânien, une compression du cou et des traces de coups multiples. Une conclusion accablante qui confirme les soupçons de torture.
La rue gronde, la police nie
À Nairobi, la colère est montée d’un cran mardi 17 juin. Des centaines de manifestants, majoritairement des jeunes, ont convergé vers le centre-ville pour exiger justice pour Ojwang. La manifestation, d’abord pacifique, a rapidement dégénéré lorsque les forces de l’ordre sont intervenues en tenue anti-émeute. Des affrontements ont éclaté, plusieurs motos ont été incendiées, des biens saccagés, et plusieurs personnes blessées.
Des vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux montrent également des individus en civil jetant des pierres aux côtés des policiers. Les manifestants accusent les autorités d’avoir infiltré les cortèges pour saboter la mobilisation. Une stratégie déjà dénoncée par le passé lors d’autres manifestations contestataires.
L’appel à une refonte du système sécuritaire
Ce drame ravive le débat sur les violences policières et l’impunité récurrente dans les rangs des forces de l’ordre kényanes. Les ONG de défense des droits humains pointent du doigt un système inchangé, malgré les nombreuses promesses de réforme des gouvernements successifs. L’affaire Ojwang fait écho à d’autres épisodes sanglants, notamment les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires lors des manifestations contre la loi de finances l’année précédente.
« Cette affaire est le symptôme d’un mal profond. Il ne s’agit pas d’un incident isolé, mais d’un schéma de brutalité institutionnalisée », déplore un représentant d’Amnesty Kenya.
Le poste de chef adjoint de la police reste pour l’instant vacant. Mais au-delà des remplacements à la tête de l’institution, la population exige désormais une réforme structurelle, un changement de culture, et surtout, une justice impartiale. Le Kenya est aujourd’hui à la croisée des chemins : céder à la tentation du silence ou affronter, enfin, les démons de l’impunité policière.