
En RDC, l’affaire Constant Mutamba continue de dérouler ses épisodes. Ce lundi, l’Assemblée nationale a été officiellement saisie d’une demande exceptionnelle : le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, y a transmis un réquisitoire sollicitant l’autorisation de poursuites judiciaires contre le ministre d’État en charge de la Justice et Garde des Sceaux, Constant Mutamba.
Déjà entendu deux fois – le 3 et le 6 juin – dans le cadre d’une enquête sur un détournement présumé de 19 millions de dollars américains, le ministre de la Justice congolais, Constant Mutamba, fait l’objet d’un dossier particulièrement sensible. Les fonds en question étaient destinés à la construction d’un centre pénitentiaire à Kisangani, dans la province de la Tshopo. L’autorisation initiale accordée par les députés avait permis l’ouverture d’une instruction judiciaire et la convocation du ministre. Désormais, c’est l’étape décisive des poursuites que sollicite le parquet général.
Une procédure rare, un symbole fort
La demande de Firmin Mvonde demeure un fait rare. En République démocratique du Congo, un ministre en fonction ne peut être poursuivi qu’avec l’aval de l’Assemblée nationale, conformément à l’article 164 de la Constitution. Cette procédure, conçue comme un garde-fou institutionnel, se transforme ici en test grandeur nature pour la séparation des pouvoirs dans un régime souvent critiqué pour son opacité.
Que la requête vise le ministre de la Justice lui-même n’est pas anodin. Constant Mutamba est à la fois une figure montante de la scène politique congolaise et un acteur central du système judiciaire. Cette double casquette rend l’affaire éminemment politique. Elle interroge sur l’autonomie réelle de la justice face à l’Exécutif, mais aussi sur l’étendue de la volonté présidentielle de faire de la lutte contre la corruption un pilier de son second mandat. Ceci d’autant plus que Constant Mutamba lui-même, en prenant fonction au ministère de la Justice, a fait de la lutte contre la corruption en milieu judiciaire l’un de ses chevaux de bataille.
Un ministre exposé, une majorité sous pression
Figure charismatique et polémique, Constant Mutamba est passé de son statut d’opposant à celui d’allié stratégique du régime Tshisekedi. Sa nomination au ministère de la Justice en 2024 visait à rajeunir l’image du gouvernement tout en intégrant des forces nouvelles au sein de la majorité. Mais son style direct, ses prises de position nationalistes, et ses critiques parfois acerbes contre certaines institutions ou partenaires étrangers lui ont aussi valu des inimitiés au sein même de la majorité.
L’affaire actuelle tombe à un moment délicat pour le régime : affaibli par des tensions sécuritaires à l’est, critiqué pour sa gestion économique, le Président Félix Tshisekedi joue sa légitimité sur sa capacité à garantir la transparence dans la gestion des deniers publics. L’autorisation ou non des poursuites contre Constant Mutamba met donc la majorité parlementaire face à un dilemme : protéger l’un des leurs, ou faire un geste fort en faveur de la redevabilité et de l’État de droit.
La justice congolaise : entre offensive judiciaire et soupçons d’instrumentalisation
Depuis plusieurs mois, le procureur Firmin Mvonde s’est illustré par une série d’initiatives visant de hauts responsables politiques et administratifs. Pour certains, il incarne une justice renaissante, déterminée à briser le cercle vicieux de l’impunité. Pour d’autres, ses actions seraient guidées par des considérations politiques, voire par des luttes de pouvoir internes.
La transparence de la procédure à venir sera donc décisive. Une instruction judiciaire suivie d’un procès équitable pourrait contribuer à restaurer la confiance d’une opinion publique de plus en plus sceptique. À l’inverse, tout soupçon de manipulation ou de règlement de comptes risquerait de ternir davantage l’image des institutions, déjà entachée par des scandales passés restés sans suite.