RDC : l’Assemblée nationale livre le ministre de la Justice à la… justice


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Constant Mutamba, ministre de la Justice
Constant Mutamba, ministre de la Justice

L’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo a autorisé, ce jeudi 29 mai 2025, la justice à poursuivre Constant Mutamba, ministre d’État, ministre de la Justice et Garde des Sceaux. Cette décision fait suite à l’adoption d’une résolution autorisant le procureur général près la Cour de cassation à ouvrir une instruction judiciaire contre le ministre dans une affaire de détournement présumé de fonds publics et de violation des procédures de passation des marchés publics.

Constant Mutamba, ministre d’État en charge de la Justice et Garde des Sceaux de la RDC est en passe de passer devant les tribunaux pour répondre d’une accusation de détournement qui pèse sur lui depuis quelques semaines.

Des soupçons graves autour d’un marché public

Au cœur du dossier figure un projet de construction d’une nouvelle prison à Kisangani, chef-lieu de la province de la Tshopo, pour lequel 39 millions de dollars américains avaient été mobilisés. Constant Mutamba est accusé d’avoir ordonné, sans autorisation légale, un paiement anticipé de 19 millions USD à une entreprise nouvellement créée, dans le cadre d’un marché attribué de gré à gré, en dehors des procédures normales.

Le rapport de la commission parlementaire spéciale, lu en séance plénière par le député André Lite, évoque de nombreuses « contradictions » et « zones d’ombre » dans les explications fournies tant par le ministre que par le procureur général, Firmin Mvonde. La commission a jugé les faits d’une « extrême gravité aux yeux de la loi congolaise », appelant à « tirer toutes les conséquences de droit », tout en garantissant au prévenu la possibilité de se défendre.

Levée d’immunité et feu vert à l’instruction

Après un débat contradictoire qui a duré plusieurs heures, l’Assemblée nationale a validé la requête du procureur général, autorisant l’ouverture d’une instruction judiciaire à l’encontre du patron de la justice congolaise. Cette autorisation marque une étape cruciale dans un dossier qui suscite une vive attention de l’opinion publique, dans un contexte de lutte affichée contre l’impunité au sein de l’appareil étatique.

Cette affaire fait également suite à deux précédentes interpellations parlementaires concernant le même projet, portées par les députés Fontaine Mangala et Willy Mishiki, qui avaient déjà soulevé des interrogations sur la légalité et la transparence du processus de passation du marché.

Retour sur la réaction virulente de Constant Mutamba

Face à cette procédure, Constant Mutamba avait réagi avec véhémence, lundi dernier, dénonçant une « chasse à l’homme » politique orchestrée, selon lui, par un procureur lui-même en délicatesse avec la justice. Lors d’un échange houleux avec les cadres et agents de son ministère, il a remis en cause la légitimité de l’action initiée par Firmin Mvonde, en affirmant : « Celui qui fait l’objet d’enquêtes ne peut pas initier une action contre le ministre de la Justice. C’est une faute disciplinaire grave », a-t-il clamé sous les applaudissements de ses partisans.

Le ministre, se disant prêt à aller en prison, a accusé le procureur d’agir pour le discréditer publiquement, n’hésitant pas à évoquer les liens passés du magistrat avec le camp de l’ancien Président Joseph Kabila, qualifié de « groupe de mafieux ». Il a également assuré être revenu de Tanzanie pour « affronter » ses accusateurs et prouver son innocence.

Un ministre dans le viseur des magistrats

L’autorisation d’ouvrir une instruction contre un ministre en fonction, qui plus est en charge de la Justice, constitue un précédent rare en RDC. Elle intervient dans un contexte de pressions populaires croissantes en faveur d’une gouvernance plus transparente et d’une justice indépendante. Mieux, la lutte contre la corruption en milieu judiciaire lancée par Constant Mutamba depuis qu’il a pris ses fonctions à la tête du ministère de la Justice lui a valu l’inimitié de bien des magistrats. Le ministre de la Justice devait savoir que le moindre faux pas de sa part pouvait lui coûter cher dans un contexte pareil.

De toute façon, il revient désormais au parquet d’établir s’il y a lieu ou non de renvoyer Constant Mutamba devant une juridiction compétente. En attendant, cette affaire pourrait avoir des conséquences politiques non négligeables pour le gouvernement en place déjà secoué par la situation à l’est qui a tourné à l’avantage de l’AFC/M23 qui depuis janvier-février règne sur Goma et Bukavu, respectivement chef-lieu de la province du Nord-Kivu et celui de la province voisine du Sud-Kivu.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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