
En Afrique de l’Ouest, le marché financier peine encore à atteindre son plein potentiel, faute de liquidité et de culture économique suffisante. Pour Constantin Dabiré, président de la Société africaine d’ingénierie et d’intermédiation financières (SA2IF), la clé réside dans la formation et la sensibilisation des acteurs du secteur.
Moins sophistiqué que ses homologues occidentaux ou asiatiques, le marché financier ouest-africain progresse en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Selon Constantin Dabiré, une société d’intermédiation financière active au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, ces technologies favorisent une meilleure éducation financière des populations. La SA2IF organise à cet effet des sessions de formation pour les acteurs du marché.
Comment rattraper les marchés occidentaux ou asiatiques tout en cultivant ses différences ?
Le défi de combler l’écart avec les marchés financiers occidentaux et asiatiques tout en valorisant ses singularités est au cœur des ambitions de l’écosystème financier africain, en particulier ouest-africain. Soutenue par des économies émergentes dynamiques telles que la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou encore le Ghana, la sous-région connaît une croissance multidimensionnelle – démographique, économique, technologique et financière. Les marchés boursiers ouest-africains, à l’image de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) et du Nigerian Stock Exchange (NSE), jouent un rôle central dans l’accélération du développement économique régional.
Ces places boursières ont enregistré en 2024 des capitalisations boursières importantes, notamment plus de 10 000 milliards FCFA pour la BRVM. Cette dynamique s’explique par l’intérêt croissant des investisseurs institutionnels et du grand public, attirés par des opportunités de rendement attractives, ainsi que par la modernisation des infrastructures de marché, notamment grâce à l’intégration des nouvelles technologies. Ces avancées permettent d’améliorer l’accès au marché, de renforcer la transparence et de faciliter les transactions, même pour les investisseurs étrangers.
Pour rattraper les marchés plus matures tout en cultivant ses différences, l’Afrique de l’Ouest mise sur plusieurs leviers stratégiques : la formation des acteurs du marché, l’intégration de paiement mobile, les réformes réglementaires transparentes et le développement de produits financiers adaptés aux réalités locales, tels que les obligations vertes, sociales et durables. Aussi, les places boursières intègrent ou envisagent intégrer à l’image des bourses développées des produits financiers sophistiqués tels que les produits dérivés. Ces initiatives, lorsqu’elles seront harmonisées entre les différentes places boursières ouest-africaines, pourraient positionner l’Afrique de l’Ouest comme un acteur majeur sur la scène financière mondiale.
Constantin Dabiré (SA2IF) mise sur l’éducation financière en Côte d’Ivoire
Des freins subsistent cependant à la montée en puissance du marché financier ouest-africain. Comme le relevait dans un entretien accordé en août à Financial Afrik Constantin Dabiré, président de la SA2IF (Société africaine d’ingénierie et d’intermédiation financières), « le marché africain est loin d’être aussi liquide qu’on l’imaginerait ». D’après cet observateur avisé de l’environnement financier régional, « la liquidité existe (…), mais elle n’est pas sur le bon créneau », les ménages et chefs d’entreprise africains – les investisseurs potentiels, donc – ayant l’habitude, culturelle, de conserver leur épargne chez eux au lieu de l’investir dans l’économie.
La faute, aussi, à un déficit de culture financière, explique Constantin Dabiré, selon qui « les acteurs du marché (ne sont) pas suffisamment formés et les émetteurs (manquent) d’expérience et d’expertise ». Conscient de la nécessité de sensibiliser ces mêmes acteurs aux réalités d’un marché en pleine mue, le patron de SA2IF a organisé, les 22 et 23 septembre à Abidjan, une session de formation intensive sur la gestion actif/passif (ALM), à destination des professionnels des institutions financières. L’occasion, pour ces derniers, de monter en compétence ; et, pour la société burkinabé, d’inaugurer en grande pompe sa nouvelle antenne en plein cœur de la vibrante capitale économique ivoirienne.
« Cet ancrage physique en Côte d’Ivoire est bien plus qu’une simple ouverture de bureaux », a fait savoir la société dans un post sur le réseau social LinkedIn : « c’est une étape décisive pour nous rapprocher de nos clients et partenaires ivoiriens et témoigner de notre engagement à long terme sur ce marché ». Considérée comme la locomotive économique de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire est en effet une tête de pont incontournable pour conquérir la sous-région. Une zone géographique dont le plein potentiel demeure, cependant, entravé par un certain nombre de spécificités : faible taux de bancarisation, poids du secteur informel, insuffisance des infrastructures bancaires, culture financière balbutiante, etc.
L’Afrique subsaharienne, terre promise des fintechs et du « mobile money »
Autant d’obstacles qui, bien négociés, peuvent se transformer en opportunités. Ainsi, il n’est plus un secret pour personne que l’Afrique subsaharienne s’est imposée, en quelques années, comme la terre promise des fintechs et du « mobile money ». Grâce à ces nouvelles technologies, le taux de bancarisation en Afrique subsaharienne a plus que doublé en dix ans, passant d’après la Banque de France de 23% en 2011 à 55% en 2021. Avec des résultats concrets sur les comportements financiers des ménages, qui n’étaient en 2021 que 7% au sein de l’UEMOA à épargner auprès d’une institution financière ou à accéder au crédit.
Pour Constantin Dabiré, « la fintech est absolument incontournable dans le cadre de pays africains qui affichent des taux de bancarisation très bas : les plateformes de mobile money permettent d’améliorer le taux de bancarisation, de favoriser la traçabilité des flux (…) et d’injecter dans le système financier traditionnel l’épargne des ménages. Il s’agit, encore et toujours, d’accroître les liquidités » sur un marché relativement « stressé ». Par ailleurs, estime le fondateur de la SA2IF, « l’émergence et le déploiement des fintech en Afrique contribuent (…) à l’indispensable éducation financière des agents économiques ».
L’éducation financière, une « clé » de la santé financière en Afrique
L’éducation financière représente en effet, d’après la Banque de France, « l’une des clés de la santé financière en Afrique ». Encore faut-il parvenir à attirer les publics cibles, comme les jeunes générations. Alors que six Africains sur dix ont moins de 24 ans, les nouvelles technologies peuvent jouer, comme le suggère Constantin Dabiré, le rôle de vecteur vers une meilleure appréhension des réalités financières. Fait encourageant, on dénombrait en 2020 près de 700 entreprises de fintech en Afrique, dont 80% d’origine nationale. Et, d’après le cabinet McKinsey, le marché des services financiers en Afrique pourrait continuer de croître de 10% par an, atteignant 230 milliards de dollars de revenus d’ici à la fin de l’année en cours.