
La désignation de Romuald Wadagni comme candidat de la mouvance présidentielle béninoise à la Présidentielle d’avril 2026 a fait l’effet d’un coup de tonnerre bien que, dans les cercles politiques de Cotonou, cela ne soit guère une surprise. Homme de confiance de Patrice Talon, ministre de l’Économie et des Finances depuis 2016, Wadagni incarne la continuité du système Talon, avec ses réformes économiques rigoureuses et sa gouvernance technocratique. Pourtant, cette transition annoncée a un air de déjà-vu. Et pour cause : le scénario rappelle étrangement celui vécu par la Côte d’Ivoire en 2020.
Souvenons-nous. Le Président Alassane Ouattara, après avoir annoncé avec solennité son intention de ne pas briguer un troisième mandat, avait désigné comme dauphin son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly. Ce dernier, tout comme Wadagni aujourd’hui, était perçu comme l’architecte des réformes économiques et administratives engagées sous la houlette du Président en place. Un homme du sérail, discret mais loyal, compétent mais peu charismatique. En somme, le candidat idéal pour poursuivre le travail sans bouleversements.
Transition entre Patrice Talon et Romuald Wadagni ?
Mais l’histoire en a décidé autrement. Le 8 juillet 2020, Gon Coulibaly meurt brutalement d’un arrêt cardiaque, à peine revenu de France où il était en traitement. La Côte d’Ivoire, sidérée, voit s’effondrer le plan de succession savamment orchestré par Ouattara. Dans un retournement que beaucoup soupçonnaient sans oser le dire à haute voix, le Président sortant décide finalement de se représenter, et remporte l’élection dans un climat tendu et controversé.
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Ce précédent est dans toutes les mémoires, et soulève aujourd’hui au Bénin une question fondamentale : la transition annoncée entre Patrice Talon et Romuald Wadagni suivra-t-elle son cours naturel ? Ou finira-t-elle dans un revirement aussi brutal que celui observé à Abidjan il y a cinq ans ? Seul l’avenir nous en dira davantage sur ce cas qui donne déjà des frissons.
Une nomination qui lève peu de doutes sur le vrai décideur
La désignation de Romuald Wadagni par les deux grands partis de la mouvance, l’UPR de Joseph Djogbénou et le BR d’Abdoulaye Bio Tchané, ne laisse planer aucun doute sur qui tient les rênes du processus. Derrière cette manœuvre politique se dessine clairement la main de Patrice Talon. Un stratège avisé, qui cherche visiblement à contrôler l’après-Talon sans céder à une incertitude démocratique totale. Wadagni, son fidèle lieutenant, a le profil idéal pour incarner un prolongement sans heurts de l’ère Talon.
Mais ce qui inquiète, ce n’est pas tant la stratégie que son potentiel renversement. L’Afrique politique est jalonnée d’exemples de Présidents qui, après avoir désigné un successeur, changent d’avis au dernier moment. Maladie, mort, défiance, tensions internes : les raisons sont multiples et souvent imprévisibles. La promesse de ne pas se représenter est souvent aussi fragile que les conditions qui l’entourent.
Une élection verrouillée à double tour
Au Bénin, comme en Côte d’Ivoire avant 2020, l’appareil étatique semble entièrement aligné derrière le candidat désigné. Les institutions, les partis, les discours officiels ne laissent guère de place à la pluralité ou à une alternative crédible. Dans un tel contexte, le candidat du pouvoir devient plus que favori : il est quasiment assuré de sa victoire, sauf cataclysme.
Mais c’est justement là que le parallèle avec la Côte d’Ivoire devient inquiétant. Le cataclysme, en 2020, est venu d’un événement totalement hors du contrôle des partis : la mort soudaine de Gon Coulibaly. Le choc a non seulement désorganisé la majorité, mais il a aussi permis à Ouattara de reprendre la main sans grande résistance, fort de l’argument de la « stabilité nationale ». Qui pourrait, demain, empêcher Talon de s’appuyer sur ce précédent s’il juge que Wadagni ne fait pas le poids, ou si des tensions apparaissent dans la gestion de la transition ?
Wadagni est-il prêt ?
Autre point de ressemblance : Wadagni, comme Gon Coulibaly avant lui, est un technocrate, peu connu du grand public en dehors de son rôle de gestionnaire des finances publiques. Or, une Présidentielle est une épreuve politique, pas seulement économique. Être compétent ne suffit pas ; il faut aussi rassembler, incarner une vision, faire vibrer l’électorat. Gon Coulibaly, malgré son parcours, avait du mal à fédérer au-delà de son clan politique. Wadagni risque de faire face au même défi.
Ajoutons à cela que la désignation d’un successeur sans véritable compétition interne a été actée. C’est un secret de polichinelle, celui que Talon a désigné pour le succéder est sans primaires ni débat national. Ce qui affaiblit le socle démocratique du processus. Cette désignation envoie le signal d’une succession arrangée, contrôlée, voire téléguidée. Ce qui fragilise d’autant la légitimité de celui qui pourrait accéder à la magistrature suprême.
La démocratie à l’épreuve du pouvoir personnel
L’Afrique de l’Ouest, depuis une décennie, oscille entre espoirs démocratiques et retours inquiétants à des logiques de pouvoir personnel. Au Bénin, Talon a indéniablement marqué son temps par une rigueur économique rarement vue dans la sous-région. Mais il a aussi été critiqué pour son approche autoritaire, sa centralisation du pouvoir et la réduction drastique de l’opposition politique. La transition vers 2026 est donc un test grandeur nature : celui de savoir si une alternance est possible sans drame, sans recul, sans surprise de dernière minute.
Le peuple béninois a toujours su faire preuve de maturité politique. Encore faut-il que ses dirigeants en fassent autant. Si Talon tient parole, s’il accompagne loyalement son dauphin sans tenter de revenir par la petite porte, il marquera l’histoire politique du pays d’une empreinte républicaine durable. Si au contraire, le scénario ivoirien se répète, ce ne sera pas seulement la crédibilité du processus électoral qui sera mise en cause, mais aussi la stabilité politique du pays tout entier.
Alors, Bénin 2025 comme Côte d’Ivoire 2020 ? Espérons que l’histoire ne bégaie pas. Et surtout, que Romuald Wadagni, lui, ne finisse pas comme Gon Coulibaly. S’il vous plaît ! Oui, s’il vous plaît ! J’attire l’attention de plus d’un Béninois : Alasane Outtarra en a tellement fait sauter de verrous qu’il s’est frayé un boulevard lui permettant de briguera un autre mandat lors de la Présidentielle 2025.